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Méditation, réflexion d’un curé médecin à propos de l’euthanasie


Le père Matthieu Berger, médecin et curé de la paroisse de Triel-sur-Seine, nous livre son témoignage d’accompagnateur de personne en fin de vie.

P. Matthieu Berger

P. Matthieu Berger

Que ce soit en blouse blanche ou en clergyman, le moment fondateur de la rencontre est celui qui se déroule devant la porte de la chambre du malade.

L’essence même de ce que je vais vivre est ce temps passé devant la porte, lorsque je suis tout seul face à un numéro … qui « symbolise » pourtant que quelqu’un est derrière, lui aussi dans le silence et la solitude d’une fin de vie. Deux solitudes qui vont se rencontrer, l’une dans l’attente de donner, l’autre dans l’attente de recevoir… quoi ? Aucune de ces deux solitudes ne le sait.

Un temps à me demander ce que je viens faire là, sans que personne ne puisse me donner la réponse. Aucune raison, autre que celle du mouvement de mon cœur qui m’entraîne à réaliser ce désir : désir de dépasser la peur de l’inutilité ou de l’ignorance.

Ce moment de transition entre un monde dénué de sens pour beaucoup, pour entrer dans un monde où tout prend sens pourtant face à l’inéluctabilité d’une fin prochaine. Deux mondes qui se repoussent l’un l’autre tellement l’un ne comprend pas l’autre, et l’autre rejette le premier en le niant.

Ce moment salvateur qui m’offre de pouvoir me vider de tout ce qui pourrait me rester de suprématie et d’orgueil, en prenant bien conscience que je ne vais servir à rien, que je ne vais rien « faire », que je viens les mains vides, mais le cœur plein de désir : un désir de donner, un désir d’aimer, un désir d’ « être » ce que l’homme est dans son essence, un être de relation. C’est la relation qui fait vivre l’être humain, non pas le succès d’un traitement. C’est la relation qui fait de l’homme une personne et non pas un individu, et qui va me permettre de pousser cette porte qui fera du malade visité un être humain digne et non pas un cas individuel enfermé dans une chambre pour lequel la médecine ne sait plus quoi faire. C’est parce que je rentre dans cette chambre que la personne visitée pourra mourir dans la dignité : la faire exister par une relation qui conduira à un dialogue, souvent dans le silence d’un regard ou d’un toucher.

Quelle plénitude en ces moments de vérité, car rien ne peut être caché ou dissimulé lorsque je suis face à une personne qui touche du doigt cet instant ultime qui lui révélera tout le sens de sa vie.

A quoi je sers ? Ce n’est pas de l’ordre de l’utile, c’est de l’ordre d’une présence, qui révèle à la personne en fin de vie ce qu’elle est : digne d’attention et d’amour.

« S’il me manque l’amour, je ne suis rien » nous dit saint Paul (1Co13,2)

Le malade n’attend rien, plus rien, ni de ma visite de bénévole, ni de ma visite de médecin, lorsqu’il est en fin de vie. Ce patient me demande surtout de ne pas lui voler ce qui lui reste de vie, de ne pas lui voler cette vérité à laquelle il a droit : la mort approche, elle est l’issue imminente, mais la mort est une étape de la vie, l’étape ultime. Si la possibilité lui en est donnée, cette étape va lui permettre de récapituler en quelques instants, des jours ou semaines, ce qui aura été pour lui des années de vie.

Un temps qui peut être béni si la société accepte de remplir son rôle de soignant au sens propre du terme : prendre soin de la personne dans toutes ses dimensions, corps, âme et esprit.

Ces derniers moments sont une opportunité pour beaucoup de réaliser l’unité de leur vie par un simple mot, un simple geste qui leur dévoile toute l’espérance qui pouvait leur manquer : la découverte qu’il est digne d’amour, digne de pardon et digne de soin. « soigner », prendre soin, c’est avant tout se mettre au chevet du malade, à son écoute ; combien est expressive la main du mourant qui transmet une contraction à peine perceptible en réponse à la voix du soignant qui le visite tous les jours. Combien est précieuse la contraction d’une paupière au moment de la communion au viatique pour signifier dans un dernier souffle de vie la présence dans une communion des saints qui s’ébauche.

Ne leur volons pas ces derniers moments par un acharnement déraisonnable ou bien par un désir mal orienté d’anticiper une fin inéluctable…

Que ce soit en blouse blanche ou en clergyman, si je franchis la porte de la chambre, ce n’est que pour permettre au mourant d’ « être » humain, car la mort fait partie de la vie…