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De pierre et de verre : Lumières de l’Assomption à la collégiale de Mantes


Consacrée à Notre-Dame de l’Assomption, la collégiale de Mantes, accueille chaque 15 août, pour une messe solennelle, les pèlerins du diocèse de Versailles autour de leur évêque. En ce lieu, l’art gothique offre à méditer le mystère de Marie entrant corps et âme dans la gloire du ciel.

Le XIIe siècle est sans doute le siècle par excellence du culte marial. Il n’est donc pas étonnant que les grands édifices gothiques aient cherché à représenter les gloires de Marie, et entre toutes, son Assomption. C’est le cas à Senlis, Chartres, Notre-Dame de Paris, Laon et Amiens. À Mantes-la-Jolie aussi, le portail royal de la collégiale Notre-Dame invite à relire toute l’histoire du salut par le Christ dans les formes de la pierre blessée au fil de l’Histoire[i].

L’attente du salut

Une disposition complexe préside ici à l’organisation d’un ensemble très cohérent. Même si les sculptures ont été lourdement endommagées à la Révolution et si les statues-colonnes qui représentaient les prophètes et les patriarches ont disparu des ébrasements, le projet initial reste lisible dans ses grandes lignes. Dans les voussures[ii] se trouve résumée, en 42 figures[iii], toute l’histoire qui mène de l’homme créé au Jardin des origines[iv] à Marie tenant Jésus dans ses bras[v], du premier Adam au second, de la Création à l’Incarnation.

Dieu créant Adam
Collégiale Mantes

L’Adam est dépeint sous la forme d’un enfant tiré de la terre par l’immense main du Père ; ses pieds restent pris dans la matière, mais déjà ses bras se tendent vers Dieu, qui l’engendre à la vie dans une posture étonnante. Résonnent ici les versets du psaume : « Mes os n’étaient pas cachés pour toi quand j’étais façonné dans le secret, modelé aux entrailles de la terre. J’étais encore inachevé, tu me voyais » (Ps 138, 15-16).

À l’autre bout de la chaîne historique de l’Ancien Testament, dans une partie du portail où la polychromie reste visible, Marie tient sur ses genoux Celui qui vient sauver le monde. Elle est l’achèvement de l’arbre de Jessé, dont les branches dessinent autour d’elle un entrelacs nuancé de bleu. Dans la partie basse de la deuxième voussure de gauche, Jessé en tenait les rameaux : au-dessus de lui dansait David, reconnaissable à sa harpe et siégeait Salomon, emblématisé par l’épée de justice.

Le dessein divin du salut s’accomplit en Marie

 

D’âge en âge se déploie l’attente du salut accompli par le Christ : « lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi de Moïse » (Gal 4,4). Mais il fallait le temps des préparations évangéliques pour que le Christ réalise le dessein du Père. Aussi, à la croisée des arcs, le portail représente-t-il la Trinité : l’Esprit saint est figuré « comme une colombe », sortant de la nuée (Mc 1,10) ; au-dessous de lui, le Père, surplombant le Christ évoqué par une croix que soutiennent deux anges, contemple éternellement le Fils, « envoyé en sacrifice de pardon pour nos péchés » (1 Jn 4, 10).

“Je me couche et je dors ; je m’éveille : le Seigneur est mon soutien.” (Ps 3, 6)

 

La scène de la fin de la vie terrestre de Marie est inspirée d’un récit apocryphe très ancien : le Transitus Mariæ (Le Passage de Marie), toujours recopié dans la Légende dorée[vi]. Il n’est pas étonnant qu’au XIIe siècle, l’art utilise encore ce texte pour décrire en deux scènes juxtaposées la Dormition et l’Assomption de Marie, suivant le schéma de la tradition orientale.

Sur la partie gauche du linteau, on voit les apôtres, poussés par un ange, qui accourent des quatre coins du monde où ils annoncent l’Évangile. Ils arrivent devant le lit de Marie endormie pour toujours.

Linteau partie gauche : Les apôtres accourent vers Marie qui s’endort

Sur la partie droite dont les couleurs subsistent malgré le temps, le Christ, identifié par le nimbe crucifère, reçoit des mains d’un ange l’âme de Marie qui devait, suivant le modèle alors en vigueur, avoir la forme d’un petit enfant. À l’extrême droite du linteau, le corps de Marie se laisse relever du tombeau par un ange tandis que d’autres créatures célestes, saisies d’admiration, se penchent sur elle[vii].

Linteau partie droite Marie est élevée, dans son âme et dans son corps

C’est dans ce cycle narratif que le sculpteur du portail royal a figuré la doctrine de l’Assomption, que l’Église adoptera comme dogme[viii] en 1950, sous le pontificat de Pie XII. Mystère de joie parfaite où en Marie, l’humanité rachetée accède intégralement à la plénitude du salut !

Images de la gloire

En effet, l’Assomption contemplée dans son sens plénier ne concerne pas seulement Marie. En Marie élevée au ciel, c’est l’Église qui est célébrée, comme « l’Épouse parée pour son Époux » (Ap 21, 2) et qui attend d’être réunie à Lui, quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28). La spiritualité du Moyen-Âge, si sensible à la dimension eschatologique de l’Histoire, en a eu une vive conscience[ix]. C’est cette réalité, pour l’instant vécue en espérance, qu’évoque le tympan, qui place côte-à-côte Marie glorifiée et le Christ – l’Épouse et l’Époux de l’Apocalypse.

 

L’Épouse et l’Époux

L’on distingue les murs de la Jérusalem céleste et des trônes où siègent, hiératiques, les personnages dans une posture identique. Ordre et stabilité traduisent l’avènement d’un monde désormais libéré de tout mal et pour toujours. Auguste Rodin, qui fit des croquis de ce portail vers 1906, écrivait à son sujet : « Le Christ et la Vierge ont été meurtris. Cassé, ce bas-relief semble retouché par Michel-Ange. Il a gagné en beauté[x] ». Dans la mesure où la beauté ouvre les portes du Mystère et de l’ineffable, Rodin avait peut-être raison. Certes, la sculpture abîmée ne parle guère à notre sensibilité, mais effacés, les visages obligent le passant à regarder vers l’Invisible et à entrer dans un authentique chemin de contemplation.

Marie joie pour le monde

Vitrail de l’Assomption : la Vierge élevée au ciel Mantes collégiale

Il faut abandonner le portail éclairé par les fastes du soleil d’été et entrer dans la fraîcheur de la nef pour entrevoir, dans le vitrail qui surmonte le grand portail, au centre de la façade, une autre représentation de l’Assomption, bien postérieure aux sculptures gothiques. Elle est l’œuvre de Jeannette Weiss-Gruber qui en 1964, devait relever le défi de réaliser ce motif directement sous la rose du XIIIe siècle, rutilante de ses rouges profonds[xi].

Marie y semble enlevée au ciel, suivant un autre modèle iconographique qui prend naissance dès la fin du Moyen-Âge. Cette figuration complète, pour ainsi dire, les leçons théologiques du portail : ce qui manquait à nos sens resplendit maintenant dans la couleur et la lumière, et reprend en écho le chant du prophète Sophonie : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! » (So 3,14). Le mouvement d’élévation se fait danse du corps libéré et glorieux.

La bête dans le vitrail de l’Assomption

Jeannette Weiss-Gruber s’est totalement éloignée des Vierges de Murillo ou de Rubens élevées au ciel sur des nuées portées par les anges, vers un ciel d’azur. Ici, la figure finale de la Vierge prend une autre force de joie parce qu’elle s’articule avec la victoire définitive sur le mal dépeinte au livre de l’Apocalypse. Marie ne s’éloigne pas de nos âpres combats quotidiens. En réécrivant librement l’épisode de la Femme et du Dragon (Ap 12), l’artiste montre la gueule ouverte de la Bête, aux pieds de la Femme vêtue de rouge qui tient son enfant dans les bras. La partie centrale du vitrail renoue avec le thème de l’Assomption. Un ange coloré se penche sur Marie pour la relever de son sommeil, dans un effet dynamique soutenu ; les sujets s’évanouissent presque dans l’explosion des couleurs et du mouvement. Comment évoquer mieux la vie en plénitude que par cette suggestion radieuse qui emporte le regard dans un au-delà du monde présent et du visible ?

vitrail de l’Assomption relèvement

La joie de la Vierge-Église est celle de tout croyant en ce jour d’Assomption : « La personnalité de l’Épouse qui apparaîtra au dernier jour, pour les noces de l’Agneau, écrivait Louis Bouyer, ce sera cette symphonie de tant de cœurs et d’âmes tout remplis du Christ, tous parvenus ensemble à réaliser la plénitude du Christ[xii] ». Du portail gothique abîmé par l’histoire et usé par le temps aux fastes de la lumière suggérés par une artiste du XXe siècle, la même espérance est suggérée. Qu’elle soit nôtre et illumine notre vie !

 

Marie-Christine Gomez-Géraud

Bibliographie :

  • Louis Bouyer, Le Trône de la Sagesse, Paris, Cerf, 1957
  • Bernard Fonquernie, « La restauration des portails de la façade occidentale de la collégiale », Mantes médiévale. La collégiale au cœur de la ville, Paris, Somogy, 2000, p. 159-167.
  • Marie-Christine Géraud, Abbé Amaury Sartorius, Marie Mère de tout vivant. Méditation sur le portail de l’Assomption de la collégiale Notre-Dame de Mantes, Éditions Paraclet, Mantes-la-Jolie, 1999.
  • Marie-Louise Thérel, Le Triomphe de la Vierge-Église. Sources historiques, littéraires et iconographiques, Paris, Éditions du CNRS, 1984.

 


[i] Nous remercions Claude Poirson et Serge Verrey qui ont mis à notre disposition les photographies figurant dans cet article.

[ii] Le terme désigne les arcs concentriques placés en retrait les uns par rapport aux autres au-dessus d’un portail.

[iii] Historiquement, le portail a été conçu sur le modèle de celui de Senlis (1153), mais il modifie le nombre des figures logées dans les voussures pour passer de 44 à 42 figures, soit le nombre des générations figurant dans la généalogie de Matthieu. (Mt 1, 17). Néanmoins, le portail ne représente pas une généalogie au sens strict, mais il reprend de grandes figures de l’Ancien Testament.

[iv] Voussure extérieure gauche, première rangée de figures en partant du bas.

[v] Voussure intérieure droite, première rangée de figures en partant du bas.

[vi] La Légende dorée est une compilation de vies de saints réalisée par le dominicain Jacques de Voragine au XIIIe siècle. L’ouvrage est organisé suivant l’ordre de l’année liturgique et envisage ainsi les traditions attachées à certaines fêtes comme l’Assomption.

[vii] Les restaurations de 1996 ont permis de mettre à jour 54 fragments sculptés dont quelques têtes. Parmi elles se trouvait la Vierge Marie sortant de son tombeau. Elle a été remise à sa place initiale. Voir B. Fonquernie, p.163-164.

[viii] Définition dogmatique : « L’immaculée mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme dans la gloire céleste » (Constitution apostolique Munificentissimus Deus de Pie XII, 1er novembre 1950 ; source : Gervais Dumeige, La Foi catholique, Paris, Éditions de l’Orante, 1975, p. 235, § 410).

[ix] Voir sur ce point Marie-Louise Thérel, Le Triomphe de la Vierge-Église, p. 133. En s’appuyant sur des textes du XIe siècle, elle peut affirmer que « [l’]intronisation [de Marie] dans la Cité céleste suscite la même joie et la même ferveur que la célébration des Noces de l’Agneau avec l’Église ».

[x] Auguste Rodin, Les Cathédrales de France, Paris, A. Colin, 1914, p. 70.

[xi] Jean-Jacques Gruber s’exprime à ce sujet dans un film conservé à l’INA. Accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www.ina.fr/video/CAF97015671

[xii] Louis Bouyer, Le Trône de la Sagesse, Paris, Cerf, 1957, p. 286.