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Le Cierge pascal symbole du Christ


La bénédiction du cierge pascal et celle de l’eau baptismale ont très vite pris, dans l’Eglise naissante, une importance capitale. Les catéchumènes en découvraient la richesse à travers les textes bibliques avant de la vivre dans la veillée pascale. Bien des aspects de la liturgie du Cierge pascal nous sont encore familiers ou à redécouvrir.

Image entête : Rouleau d’Exultet Troja (Pouilles) vers 1175 (6,5mx0,25m) Le diacre bénit le cierge pascal et tient de la main gauche le rouleau de l’Exultet qu’il va chanter [i]

La Vigile pascale a été remise à l’honneur, par le pape Pie XII en 1951, d’après l’antique tradition de la veillée pascale que saint Augustin, au IVe siècle, appelait “la mère de toutes les saintes veillées”.

Cette veillée s’inspirait du rite juif de bénédiction de la lumière qui célébrait le jour nouveau (la journée commençait dès le coucher du soleil) : “Il y eut un soir, il y eut un matin Gn1,5“. Ce rite a été repris par les premiers chrétiens, sous le nom de ” lucernaire” (allumage des lampes) au chant de ” Joyeuse lumière, splendeur de la gloire du Père, Saint et bienheureux Jésus-Christ !“ ; c’est  la plus ancienne hymne chrétienne connue ! Le rite va prendre toute sa dimension avec la liturgie très solennelle de  la fête de Pâques célébrant, dans la continuité de la pâque juive, l’extraordinaire nouveauté de la Résurrection.

Notre célébration actuelle, en Occident, détaille et met en valeur les différents aspects du mystère pascal que nous retrouvons (en grande partie) d’une part dans la composition et les inscriptions du cierge pascal, d’autre part dans l’allumage et sa solennelle bénédiction (“laus cerei”). Le Cierge pascal est symbole du Christ ressuscité.

Le Cierge pascal : colonne de cire, fruit du travail des abeilles

L’Eglise n’a pas utilisé de cierges avant le IVe siècle parce qu’ils étaient employés dans les rites païens et parce qu’ils n’étaient pas mentionnés dans la Bible. L”‘invention” du Cierge pascal remonterait au Pape Zozyme, au début du Ve siècle. Ce cierge, dont le nom vient du latin cera (cire) était alors monumental, pouvant parfois mesurer plusieurs mètres. Grâce à la cire d’abeilles qui le compose et aux inscriptions gravées dessus, il éclaire le mystère pascal du Christ. 

Importance des abeilles dans la Bible et pour la cire du Cierge Pascal

Le cierge pascal doit être fait de pure cire d’abeille (selon les  directives du Missel Romain assouplies en 1940) ; Dans sa version latine, l’Exultet chantait la participation de l’abeille au cierge pascal : “Ce feu ne perd rien en communiquant sa lumière, car il est nourri par la cire fondante dont la mère abeille a produit la substance[1].”

L’abeille a une place de choix dans la Bible.

Elle caractérise la Terre promise “ruisselante de lait et de miel Ex3,8 et Dt 6,3“. “Elle  est minuscule, mais ce qu’elle produit est d’une douceur exquise Sir 11,3. Son miel nourrit l'”Emmanuel” et Jean-Baptiste Is 7,15 et 22 et Mt3,4. Et, traditionnellement, les catéchumènes en recevaient une cuillerée après leur baptême.

 

Les mots “abeille” et “Parole” proviennent de la même racine hébraïque, “Dvr“,  qui a donné aussi son nom à Deborah, la seule prophétesse de la Bible ! Cette racine commune a donné naissance à d’innombrables commentaires des Pères de l’Eglise.

Aux abeilles qui subliment en miel le nectar d’une multitude de fleurs, sont comparés les auteurs chrétiens qui transforment la lettre de l’Ecriture en sens spirituel. “Origène butinait les fleurs comme une véritable abeille dans la prairie des prophètes et des apôtres[2].”

Guerric d’Igny nous invite à leur ressembler : “Vous qui parcourez les jardins des Ecritures, gardez-vous de les survoler d’une lecture négligente et paresseuse ; mais scrutez chaque détail et, comme des abeilles diligentes recueillent le miel du dedans des fleurs, vous de même, du dedans des mots, recueillez l’Esprit[3]“.

Laborieuses, sages, organisées, nombreuses, elles vivent en communion dans la Ruche, image de l’Eglise. La ruche était aussi image  de l’Ecriture selon un moine grec de la fin du IVe siècle :”Certains appellent les prophètes des abeilles, et disent que la divine Ecriture est leur ruche[4].”

De nombreuses légendes au sujet des abeilles abondent dans les bestiaires médiévaux, donnant un sens spirituel, mystique, à des observations qui s’avèrent aujourd’hui fort peu scientifiques. Selon ces légendes, elles engendreraient de façon virginale, ressusciteraient après un sommeil de trois mois, donnant à la cire qu’elles produisent les caractéristiques de la chair du Christ né d’une Vierge et ressuscité le troisième jour.

 

Motifs gravés dans la cire

La croix unit l’A majuscule et l’ Ω majuscule. C’est la transcription sur le cierge de cette parole du Christ “ Je suis l’alpha et l’oméga, celui qui est et qui vient, le maître de l’univers Ap1,8“. La croix prend la place du “Je suis” du verset de l’Apocalypse sur le cierge.  “Je suis” c’est le nom de Dieu donné au buisson ardent Ex3,14. La croix est ici la signature du Christ-Dieu.

Aujourd’hui la croix du Cierge pascal est souvent rouge, couleur de royauté et de passion, de sang et d’amour.

Cinq grains d’encens en forme de croix

C’est la victoire sur la mort que les premiers Chrétiens veulent avant tout proclamer, et on n’évoque, avant le Ve siècle[5], ni l’horrible souffrance du Christ en croix, ni ses plaies douloureuses. Jusqu’au XIIe siècle, on représente des Christs sereins, plus forts que la mort.

La dévotion à l’égard des plaies du Christ[6] n’apparaît en Occident qu’au retour des croisades (XIIIe-XIVe siècles). Elle se développe avec les jeux liturgiques, dont celui des Femmes au tombeau.

Les cinq grains d’encens, placés sur la croix en tant que plaies du Christ,  peuvent évoquer l’embaumement par Nicodème et Joseph d’Arimathie du corps sanglant de Jésus Jn 19,38-40, ou bien la venue des Femmes au tombeau, au matin de Pâques, avec des aromates pour oindre le corps de Jésus[7]. En lien donc avec les plaies du Christ, ces grains d’encens montrent qu’on ne peut séparer la mort de la Résurrection.

Millésime

Le Christ étant présent au milieu de nous aujourd’hui, comme hier et demain, on inscrit souvent les quatre chiffres de l’année en cours sur le cierge, autour de la croix.

Célébration de la Lumière

Pour signifier que c’est du tombeau, situé hors de Jérusalem, que jaillit la Résurrection, c’est dehors, hors de l’église, que se réunit l’assemblée et que l’on prépare le feu qui va jaillir dans les ténèbres.

Le feu témoigne de la maîtrise par l’homme du feu du ciel (éclairs et foudre), maîtrise qui a constitué un bond dans l’histoire de l’humanité : il est “fruit du ciel et du travail  de l’homme” pourrait-on dire, en plagiant la magnifique prière de la messe sur les offrandes. Le feu nouveau est bénit et c’est grâce à lui que va être allumé le Cierge pascal, symbole du Christ. Une nouvelle création naît. “La Pâque du Christ est la nouvelle Genèse du monde Mc 16,1“.

Procession vers l’autel

Veillée pascale Guyancourt 2007

Cierge pascal en tête, la procession des fidèles entre alors dans l’église. Cette procession, c’est la longue marche du peuple hébreu vers la Terre Promise, guidé par la colonne de feu Ex 13,21 ; c’est le chemin des catéchumènes, vers leur baptême en Christ. La procession est ponctuée trois fois par le chant du prêtre, “Lumière du Christ”, auquel les fidèles répondent, ” nous rendons grâce à Dieu”. A chaque fois, la lumière se transmet de cierge en cierge, de fidèle en fidèle. Elle se multiplie et se partage, sans que celle du Cierge ne perde de son intensité : “Lumière du Christ” !

 

Exultet ou Louange du Cierge : “Laus cerei”

Manuscrit Barberini, XII siècle, Rome dans “La liturgie”, Clovis” dessin p.169

Le Cierge pascal, souvent fleuri, est installé sur son candélabre. Le diacre en dalmatique blanche, après avoir reçu la bénédiction du célébrant, l’encense et monte à l’ambon pour chanter l’Exultet. Il n’est éclairé que de la lumière du Cierge pascal, car c’est le Christ Lumière qui éclaire et donne sens aux Ecritures. La tradition veut que saint Augustin, encore diacre, l’ait chanté avec des paroles proches de celles qui sont chantées aujourd’hui. « C’est la nuit où le feu d’une colonne lumineuse repoussait les ténèbres du péché…. » L’Exultet, condensé lyrique de la joie pascale, se clôt par la bénédiction du Cierge Pascal d’où son nom de “laus cerei” (bénédiction du cierge en latin).

Pourquoi le chant de l’Exultet est-il confié au diacre dès la fin du IVesiècle, peut-on se demander. Un dictionnaire du XVIIIe siècle propose cette explication :”Cela peut indiquer que ce ne furent point les apôtres qui embaumèrent le corps de Jésus et qui annoncèrent les premiers la Résurrection[8].

La liturgie de la Lumière précède la liturgie de la Parole parce que la lecture chrétienne de la Bible ne trouve son sens qu’à la Lumière de Pâques.

Une initiation au Baptême, Sacrement de l’illumination, à l’époque des Pères de l’Eglise

Primitivement, lors de la bénédiction de l’eau, le Cierge Pascal, figure du Christ, était plongé trois fois dans le baptistère.

Les mosaïques du baptistère de Kelibia[9] (Tunisie VIe siècle) permettent de visualiser, en partie, la célébration du Baptême, appelée “Illumination”, vécue par les catéchumènes du pourtour méditerranéen aux   Ve et VIe siècles.

Les catéchumènes avaient commencé par assister, pendant tout le Carême, à une série d’enseignements, sous forme d’explications des textes bibliques, de la Trinité, du Credo…

Arrivés au baptistère pour être plongés trois fois dans l’eau du baptistère (deux mètres environ de profondeur à Kelibia) ils retrouvaient sur les mosaïques les images des textes étudiés : l’arche de Noé, la colombe, la coupe de vin, les poissons de la pêche miraculeuse, les arbres du paradis (que la photo ne peut tous faire voir)…

Ils reconnaissaient dans les deux lettres grecques du X (chi) et du P (rhô) entrelacés – premières lettres de Christ en grec – le chrisme[10] entouré de l’alpha A (majuscule) et de l’oméga ω (minuscule) : le Christ est Source et accomplissement de toutes choses. Ce symbolisme est si fort qu’il est parvenu jusqu’à nous, sur le cierge pascal.

Ils voyaient aussi l’abeille[11], déjà longuement évoquée, sous le dauphin (image de salut, car on pensait qu’il ramenait les naufragés au port). C’est l’abeille qui donnait la cire du Cierge Pascal et des cierges qu’ils allaient recevoir en sortant du baptistère. Ces cierges sont représentés au nombre de quatre sur ce baptistère ; ils sont visibles, sur l’image précédente, à droite et à gauche, au-dessus de dauphin. Peut-être percevaient-ils que l’abeille qui avait donné la cire avait aussi pollinisé les arbres du jardin, le transformant en Terre Promise : l’Eden, dans lequel ils étaient en train de pénétrer en suivant les pas du Christ “Voici que, pour toi, s’ouvre le paradis de Dieu, qu’il a planté vers l’Orient[12]“.

A partir du lendemain de la célébration commençait la catéchèse, dite “mystagogique”, une catéchèse qui cherchait à mieux faire entrer les  nouveaux baptisés dans le mystère du Christ ressuscité.

Chère aux Pères de l’Eglise, la catéchèse mystagogique est inséparable de la Liturgie et de l’expérience de la célébration. De façon très résumée ici, elle montrait l’analogie entre les actions de Dieu dans l’Ancien Testament et les sacrements de l’Eglise, en soulignait les conséquences pratiques dans la vie chrétienne, appelait à l’admiration devant les œuvres de Dieu, insistait sur la résurrection, était soucieuse d’adapter son langage à chacun…[13]  .

Catherine de Salaberry Pâques 2020

Bibliographie

“Dictionnaire Encyclopédique du Christianisme Ancien”, Cerf 1990, articles Cierge Pascal, Mystagogie.

“Dans vos Assemblées”, sous la direction de Joseph Gélineau, Desclée, 1998.


Notes

[i] Le chant de l’Exultet ou “Laus cerei” (bénédiction du Cierge Pascal), était traditionnellement écrit sur un rouleau écrit dans sa longueur, et illustré. Le diacre le déroulait et laissait pendre le texte déjà lu. Les plus beaux “Exultet” viennent des Pouilles. Celui-ci est conservé à la cathédrale de Troia.

[1] Conférence de Fabrice Hadjadj,  https://www.paris.catholique.fr/texte-de-la-conference-de-careme-a-43346.html

[2] Clément d’Alexandrie (IIIe siècle)

[3] Guerric d’Igny, “Sur la Psalmodie 2

[4] Nil d’Ancyre, “Lettres I,262 à Naucratios

[5] Les deux plus anciennes crucifixions que nous connaissons sont celle de la Porte de Ste Sabine à Rome et celle d’un petit ivoire conservé au British Museum. Elles sont datées du Ve siècle.

[6] Cette dévotion obtint son approbation dans l’Église pour la première fois au Concile de Lavaur en 1368 can. 128, ob reverentiam et honorem quinque vulnerum per Salvatorem nostrum in ara crucis pro redemptione nostra receptorum[ avec des indulgences de trente jours à qui dirait cinq pater en l’honneur des cinq plaies à genoux.[]

[7] HOMBERT Pierre-Marie, L’Ecriture Symphonique, ” Cahiers de l’Ecole Cathédrale”, n°10, Mame, 1994, p.69

[8] Dictionnaire universel […] des sciences ecclésiastiques, par le R.P. Richard, Paris, 1760, tome second, p. 34

[9] Le baptistère de Kélibia, découvert dans les années 1950 au Cap Bon, est conservé maintenant au Musée du Bardo à Tunis. La qualité et la richesse de ses mosaïques le rendent exceptionnel. C’est aussi le seul baptistère connu où nous voyons une abeille. Très nombreuses photos sur Wikipédia.

[10] Le Chrisme est l’entrelacement des deux premières lettres de Christ en grec. En faisant pivoter de 45° le X, le chrisme ressemble à une croix dont la barre verticale garde l’arrondi du rhô grec.

[11] PALAZZO Eric “Liturgie et société au Moyen- Age” Aubier 2000, p.160

[12] Adalbert-Gautier HAMMAN “L’Initiation Chrétienne“, DDB, “Ichtus, Les Pères dans la Foi”,1980, Cyrille de Jérusalem, p.39

[13]Adalbert-Gautier HAMMAN “L’Initiation Chrétienne” DDB, “Ichtus, Les Pères dans la Foi”,1980,  Introduction de Mgr Danielou, p.7à22

 

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