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Pierre, m’aimes tu ?


Un tableau représentant l’apôtre Pierre vient d’être restauré et raccroché dans l’église d’Orgeval. Il présente une richesse de symboles expliqués ici et qui donneront envie à plus d’une personne d’aller le contempler cet été.

Comment rester insensible devant cette grande figure de Pierre qui semble vaciller en ouvrant largement les bras. L’épais vernis a noirci,  jusqu’à rendre illisible une grande partie du tableau, mais la figure de Pierre est tellement présente qu’elle nous pousse à chercher ce que le peintre veut nous dire à travers elle.

L’identification de Pierre ne pose pas de problème : le coq et les clefs sont ses attributs classiques. Pierre se trouve, ici, dans la cour du palais du grand prêtre. Ce dernier est en train, en pleine nuit, d’interroger Jésus en cherchant des témoignages concordants pour le faire mourir : Jésus n’a-t-il pas dit “Je suis le Fils du Dieu vivant”, véritable blasphème pour les responsables religieux.

 

Quelle image de Pierre le peintre a-t-il donc voulu nous donner ? Celle d’un pécheur renégat ou celle du premier des apôtres, selon l’Evangile ? Celle d’un apôtre aux larmes amères ou celle de celui qui aura rang de premier “pape” (même si ce terme n’arrive que plus tard).

 

Regardons avec attention ce tableau en cherchant d’abord les questions qu’il pose à celui qui le contemple.

Les vêtements de Pierre ne sont vraiment pas ceux d’un pécheur de la mer de Galilée.  De plus de tels vêtements n’auraient pas permis à Pierre de  passer inaperçu dans la cour même du Grand Prêtre.

Le coq, lui, a fini de chanter depuis longtemps, si l’on en croit la clarté d’un ciel bleu de plein jour.

Quant aux deux clefs , pourquoi gisent-elles aux pieds de Pierre qui, traditionnellement les tient à la main ?

Et enfin pourquoi Pierre ouvre-t-il grand les bras, au lieu de se recroqueviller pour tenter d’échapper au regard du Seigneur fixé sur lui (Lc 22,60) ?

 

Faisons un pas de plus

Comme tout juif pieux, Simon-Pierre priait chaque matin l’Eternel en le bénissant  pour la Création. Aujourd’hui encore la première prière juive du shabbat commence ainsi : ” Béni soit l’Eternel qui a donné au coq l’intelligence de distinguer le jour de la nuit.”  Les premiers Chrétiens ont vu dans cette prière de l’aurore une annonce du Jour nouveau qui triomphe des ténèbres de la mort, une annonce de la Résurrection. Nous comprenons donc mieux l’importance donnée au coq perché, ô ironie, sur une corniche du palais même du grand prêtre.

Et pourquoi, contrairement à la tradition iconographique, les clefs gisent-elles à terre devant les pieds nus de Pierre ? Il est tellement rare de les voir posées ainsi à terre que nous ne pouvons qu’émettre des suppositions.

Jésus promet à Pierre de lui donner les clefs du Royaume des Cieux en Matthieu (16,19). Les Pères de l’Eglise verront en elles les clefs de l’interprétation des Ecritures qui ouvrent à la Foi, critère d’entrée dans le Royaume des Cieux. Le même Matthieu critique violemment, pour l’usage qu’ils en font, les scribes et les pharisiens hypocrites :   “Malheureux êtes-vous parce que vous fermez à clef le royaume des Cieux devant les hommes ; vous-mêmes, en effet, n’y entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui veulent entrer !” (23,13)

Pierre reçoit donc de Jésus ces clefs hautement symboliques, mais n’en est pas propriétaire semble nous dire ce tableau. De plus il lui faut se pencher pour les utiliser. C’est une posture d’humilité qui lui est demandée, un contact avec la terre des hommes pour pouvoir leur donner, en vérité, les clefs de la Foi, de l’entrée du Royaume. C’est ce que traduisent aussi, à leur façon, l’importance donnée aux pieds nus dans l’antique tradition iconographique : le Christ et les apôtres étaient toujours représentés pieds nus pour fouler la terre des hommes afin de leur annoncer la Paix et la bonne Nouvelle du Salut selon un verset d’Isaïe (52,7) abondamment commenté en ce sens par les Pères.

 

Le vêtement

Pierre porte un somptueux manteau rouge sur une tunique blanche. Le peintre a souligné l’éclat de ce manteau par un traitement en larges aplats d’un rouge éclatant, vibrant. Ce manteau n’est pas sans nous rappeler le manteau rouge remis par les soldats au Christ en signe de dérision, signe qui se révèle prophétique de la Royauté du Christ.

Le rouge évoque le sang, la passion et la pourpre des empereurs orientaux. Il rappelle aussi le feu auquel Pierre “le cœur transi”, selon St Ambroise, essayait de se réchauffer dans la cour du grand prêtre. Il rappelle encore le feu de braises auprès duquel le Christ demande trois fois, à lui Pierre qui l’avait renié trois fois, s’il l’aimait (Jn21,15-17).

Pierre en larmes le vendredi, puis balbutiant “Tu sais bien que je t’aime ” le matin de Pâques venu, a revêtu le Christ, comme le souligne le tableau : il est en effet, habillé d’une tunique blanche et de ce somptueux manteau rouge qui attire l’œil dès le premier abord. Il étendra les bras, aussi, sur la croix, crucifié comme le Christ mais la tête en bas selon la tradition.

 

Eglise et vocation ?

En conclusion, ce tableau nous met en présence de Pierre représenté à la fois humble pécheur repentant et futur pape. Pierre, le caillou (littéralement) est appelé à la dignité de son Seigneur qui est, lui, le Roc.

St Léon le Grand souligne que Pierre n’est solide que par la force de son Seigneur, par la Foi qu’il a en Lui.

La vocation de Pierre et de l’Eglise s’est jouée dans cette cour du palais du grand Prêtre ” là où Pierre en larmes entre dans le plan miséricordieux de Dieu qui est de pardonner et de sauver, de réconcilier avec Lui et en Lui ces hommes fragiles et peureux que nous sommes, à commencer par Pierre” écrit le cardinal Martini.

L’intuition fondamentale du peintre a été de nous mettre en présence de la tension de tout ministère entre l’humilité du serviteur pécheur et la grandeur de la vocation à laquelle il répond.

La Foi et l’art du peintre inconnu de ce tableau magistral nous ont permis d’en prendre conscience. Tous ceux qui le contempleront dans la belle église St Pierre et St Paul d’Orgeval pourront le découvrir personnellement et presque charnellement.

Catherine de Salaberry  juillet 2020