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Méditer en compagnie des anges …


La liturgie de l’Église fête les archanges Gabriel, Michel et Raphaël le 29 septembre ; elle célèbre le 2 octobre la mémoire des Anges gardiens.
Quel message spirituel pouvons-nous tirer de leur présence dans l’art ? Quelques œuvres du diocèse nous le suggèrent.

Ange thuriféraire
Portail du Christ en gloire
Collégiale de Mantes

Leur inflation dans l’art contraste avec la discrétion de l’Écriture[3] : l’Ancien Testament parle de « l’ange du Seigneur » pour éviter de parler de Dieu directement et dans le songe de Jacob, ils font la jonction entre le ciel et la terre[2]  ; dans la vie du Christ, la présence angélique survient à des moments cruciaux. Le Catéchisme de l’Église catholique leur accorde quelques paragraphes[4].

 

Des archanges : quand les vitraux racontent l’Écriture

Les archanges sont représentés fortement typés et associés à une scène biblique bien définie. Gabriel, ange de l’Annonciation, apparait souvent auprès de la Vierge Marie, suivant l’évangile de Luc (ch. 1). Ainsi dans ce double panneau de l’église Saint-Germain de Gazeran (début du XXe s.) : l’archange porte le lys comme un sceptre. La tunique et les ailes d’oiseau, dotées de plumes, sont familières à l’art depuis le Moyen Âge. L’archange flotte ici dans un espace céleste matérialisé par un nuage, signalant ainsi son origine céleste.

Église Saint-Germain, Gazeran

Il apparaît encore sur ce retable méconnu de l’église du Tertre-Saint-Denis (XVIIIe s.) : « serviteur du Seigneur », il est revêtu de la dalmatique, vêtement du diacre, rappelant ainsi son infériorité par rapport au Christ Grand Prêtre. La scène se déroule sous une couronne d’angelots, cependant qu’au ciel du retable,des anges musiciens exécutent exécutent leurs partitions[5].

Église Saint-Denis
Le Tertre Saint-Denis

Anges jouant de la cornemuse et de la viole

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Église Saint-Jean-Baptiste
Carrières-sur-Seine

 

 

 

Plus rare est la représentation de Raphaël, qui apparaît au livre de Tobie.
Son emblème est le poisson en référence à un épisode biblique : durant son voyage, accompagné par l’ange, Tobie attrape un poisson dont le fiel servira de remède pour guérir la cécité de son père (Tb 5 et 11). Précisément, Raphaël signifie : « Dieu guérit » !
Il porte le bâton du voyageur puisque Tobie le rencontre en chemin.

 

 

 

 

Michel apparaît le plus souvent dans son combat contre le serpent (Saint-Nicolas de Villennes) ou sur des figurations du Jugement dernier. La rosace de la collégiale de Mantes l’installe sous le Christ du Jugement (XIIIe s.), dans son prolongement : il porte la balance ; il ne juge pas ; seul le Christ a ce pouvoir. À sa gauche, un démon cherche à fausser la balance pour emporter une âme, tandis qu’à sa droite, une autre debout supplie, à l’abri sous le pan du manteau de l’archange. Suivant la grande tradition du culte de saint Michel, l’archange est rempart contre les ruses du démon.

 

Collégiale Notre-Dame, Mantes.

 

Quand les anges pleurent : une créature en question

On peine à retrouver les racines bibliques d’un motif plus rare alors, celui des anges de la déploration. Il apparaît discrètement, dans l’art du Moyen Âge, sous la forme des anges portant les instruments de la Passion. Sur la rosace de la collégiale de Mantes, sans surprise, apparaissent les anges annonçant la Parousie à son de trompe, penchés vers les résurgents qu’ils appellent au Jugement dernier. Le motif est emprunté à l’Apocalypse (8,6).

 

Plus inattendu est le motif des anges montrant les instruments de la Passion[6], apparu au XIe s. L’un porte ici la lance, l’autre la croix, trophées du Christ ressuscité, qu’il tient entre ses mains recouverte par un linge, en signe de vénération.

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les quadrilobes supérieurs, ils pleurent, la tête penchée. Comment ne pas s’interroger sur la nature de leur émotion ? S’agit-il de les humaniser ou de proposer au fidèle qui les aperçoit de compatir à la Passion du Christ en vue d’obtenir miséricorde ?

 

 

Ainsi détaché de tout contexte biblique, l’ange de la déploration connait un succès croissant. Dès la Renaissance et sous l’impulsion de l’art en vigueur après le Concile de Trente, l’ange achève de s’humaniser en accompagnant le Christ au tombeau[17]. Au XIXe siècle encore, Edouard Manet (1864) le représente dans un tableau remarqué, au sens spirituel néanmoins confus[8]. Une toile (1840) du moins célèbre Jules Varnier (1813-1873), conservée à la collégiale de Mantes, suscite elle aussi l’interrogation. Au-delà de son académisme qui peut séduire ou déranger, le sens de l’œuvre n’est pas immédiat.

Jules Varnier, Le Christ au saint sépulcre, collègiale de Mantes

 

La scène se déploie sous une lumière dorée tombant du ciel : sur un linceul jonché de roses, repose le cadavre grisâtre du Christ. Le tableau garde trace des rituels funèbres (vase de l’onction, couronne d’épines abandonnée). Jésus va être mis au tombeau, dont on aperçoit l’ouverture au premier plan, tandis que trois anges pleurent sur la pierre portant les initiales de l’inscription ‘Iesus Nazarenus Rex Iudæorum’ (Jn 19, 20-21). Ils surmontent la composition, dans une organisation académique en triangle. Le peintre a joué sur la variété de la couleur des vêtements et la diversité des attitudes : debout, un ange contemple, à genoux, un autre lève les yeux vers le Ciel ; scrute-t-il le Mystère de la Passion ? Le dernier pleure la tête au creux des bras, d’une douleur tout humaine. S’agit-il seulement de solliciter l’émotion devant ce spectacle funèbre ? La spiritualité dégénèrerait-elle en simple sentiment ?
Peut-être. Rien n’interdit de proposer une autre lecture. Si, ainsi humanisés, ces anges représentaient trois témoins de la mort du Christ (cf. Jn 19, 25) : Marie pourrait être figurée par l’ange debout ; Jean le contemplatif, par l’ange à la tête levée ; Marie de Magdala par l’ange de la déploration. Nous serions alors invités à trois attitudes spirituelles dans la méditation de la Passion : pleurer pour compatir ; scruter le Mystère ; méditer les merveilles du salut.

Compagnons de nos vies

Ces anges, qui « contemplent sans fin la face [de Dieu] » et « n’interrompent jamais leur louange[9] » seraient alors bien les compagnons de notre vie chrétienne : guides à la manière de Raphaël, messagers du salut comme Gabriel, remparts dans le combat spirituel comme Michel. Eux que l’Écriture représente autour du trône du Très-Haut[10], avec qui l’assemblée eucharistique chante le Sanctus et qui sont avant tout les messagers de Dieu, peuvent ouvrir un chemin spirituel, une nouvelle échelle de Jacob.
Le Moyen Âge les logeait dans les parties hautes des églises, inaccessibles aux fidèles. Ces créatures du monde invisible ne sont de fait perçues que si l’on s’élève avec le regard de la foi. C’est un préalable aussi à la lecture des œuvres d’art sacré.

Marie-Christine Gomez-Géraud, septembre 2020

photos personnelles

 

AUTRES PISTES BIBLIOGRAPHIQUES :
– Gaston Duchet-Suchaux et Michel Pastoureau, La Bible et les saints. Guide iconographique, Paris, Flammarion, 1990.
– Philippe Faure, « Les cieux ouverts  les anges et leurs images dans le christianisme médiéval (XIe-XIIIe siècles) », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 13 | 1994, mis en ligne le 27février 2009, consulté le 03 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ccrh/2699 ; DOI
:10.4000/ccrh.2699
– Marie-Christine Géraud, Une éternité de lumière. Méditation sur la rosace de la collégiale Notre-Dame de Mantes, Éditions Paraclet, 2002.

 

[1] Augustin, Com. super Psalmos (Ps 90, 11-12) ; Hilaire de Poitiers, Com. super Mattheum.

[2] « Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et son sommet atteignait le ciel, et que des anges de Dieu y montaient et descendaient ! » (Gn 28, 12).

[3] La Bible donne un nom aux archanges : Gabriel (fort de Dieu) est évoqué en Dn 10,13 et nommé par Lc 1,19. Michel (qui est comme Dieu) apparaît en Dn 12,1 et Ap 14,7, dans son combat avec le Serpent. Raphaël (Dieu guérit) est un protagoniste du livre de Tobie.

[4] § 328-336. Voir surtout § 328 : « L’existence des êtres spirituels, non corporels, que l’Écriture sainte nomme habituellement anges, est une vérité de foi. Le témoignage de l’Écriture est aussi net que l’unanimité de la Tradition ».

[5] Le motif des anges musiciens apparaît au XIIe siècle.

[6] Jerzy Kopek et Henri Rayez, Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1971, tome VII, col. 1820. « Selon une croyance médiévale, le Christ apparaîtra au jour du jugement général, portant les principaux instruments de sa Passion : ils seront pour les réprouvés comme un signe de leur condamnation et pour les élus un symbole d’amour et de victoire ».

[7] Voir en particulier G. Bellini, vers 1460). On trouve aussi le thème des anges pleurant avec la Vierge, saint Jean et Marie de Magdala. Le thème fleurit aux Pays-Bas (Ph. Van Dyck, vers 1635), en Italie (Le Guerchin, 1618, F. Trevisani, vers 1705) et en France (N. Poussin, 1628).

[8] Émile Zola, qu’on ne peut pas ranger parmi les écrivains catholiques, écrit à son sujet : « On a dit que ce Christ n’était pas un Christ, et j’avoue que cela peut être ; pour moi, c’est un cadavre peint en pleine lumière, avec franchise et vigueur ; et même j’aime les anges du fond, ces enfants aux grandes ailes bleues qui ont une étrangeté si douce et si élégante » (É. Zola, E. Manet. Étude biographique et critique, Charpentier et Fasquelle, 1893, p. 357). On perçoit ici combien cette représentation de l’ange peut être qualifiée de « sentimentale ». Le tableau est consultable à l’adresse :https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier :%C3%89douard_Manet_-_Le_Christ_mort_et_les_anges.jpg

[9] Préface de la prière eucharistique IV.

[10] Voir l’armée du Ciel en 1R 22, 19.