Logo diocèse de Versailles

Mgr Luc Crepy : “Nous devons poursuivre le travail. Je reste déterminé.”


11 novembre 2022 – De retour de l’Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, et à la lumière des dernières révélations bouleversant de nouveau l’Eglise, Mgr Luc Crepy revient sur la gestion des abus dans notre diocèse.

Pour permettre à chacun de bien comprendre, pouvez-vous présenter la procédure suivie après un signalement ?

Mgr Luc Crepy : Une personne victime a plusieurs outils à sa disposition pour se manifester auprès du diocèse : elle peut écrire à l’évêque, elle peut saisir la cellule d’accueil et d’écoute diocésaine, composée d’experts laïcs ou encore la cellule nationale de la Conférence des évêques de France. Elle a aussi la possibilité de se tourner vers la plateforme indépendante et nationale d’aide aux victimes d’abus sexuels dans l’Eglise[1]. Elle est fortement invitée à faire par elle-même un signalement auprès du Procureur de la République. C’est l’évêque qui sera sinon dans l’obligation de faire ce signalement, une convention existant d’ailleurs entre le diocèse et le tribunal civil qui diligente alors une enquête.

En lien avec le Procureur, des mesures conservatoires à l’égard de l’auteur présumé peuvent être rapidement prises pour protéger les victimes éventuelles et éviter tout risque de mise en danger. Ces mesures conservatoires ne présument pas de la culpabilité de la personne mise en cause.

L’évêque doit transmettre alors un signalement, dans les deux mois, à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui ouvre une enquête canonique, mais qui ne se prononcera pas avant les conclusions et les jugements de la justice civile. Ces derniers seront transmis à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui se prononcera alors et transmettra à l’évêque le jugement et les sanctions canoniques à l’égard de l’auteur des faits. Même si la justice civile conclut à un non-lieu ou clôt l’affaire pour prescription, la justice canonique se poursuit et peut sanctionner. Elle est d’ailleurs régulièrement plus sévère que la justice civile : Rome peut en effet décider de lever la prescription. Par ailleurs, la justice canonique considère et juge certains délits qui ne le sont pas pour la justice civile : l’instrumentalisation des sacrements par exemple.

Quand les sanctions canoniques ont été communiquées par Rome à l’évêque, l’auteur des faits et la ou les personnes victimes en sont immédiatement informés par écrit.

[1] France victimes : 01 41 83 42 17

Ce que l’on appelle aujourd’hui “l’affaire Santier” a mis en exergue le besoin des fidèles d’être tenus informés des sanctions prises contre les prêtres. Pensez-vous que cette mesure soit nécessaire ?

L’affaire Santier prouve d’abord qu’il n’y a pas d’impunité, quelles que soient les fonctions de la personne mise en cause. Michel Santier a été sanctionné par l’Eglise. La question complémentaire qui se pose aujourd’hui est celle de la communication des sanctions, en particulier pour contribuer à la libération de la parole chez d’éventuelles autres victimes quand les faits sont graves. Quand une enquête est en cours, civile ou canonique, il relève des enquêteurs d’appeler aux témoignages, tout en préservant la présomption d’innocence.

Sur le plan du droit de l’Eglise, sauf mention explicite, il n’y a ni interdiction ni obligation de publier les sanctions prise à l’égard de la personne coupable. Vu l’avancement de la réflexion, si l’affaire n’a pas été rendue publique, il pourrait nous revenir de la publier dans le cas de crimes avérés notamment. Même si pour une personne victime oser une parole répond à un mécanisme bien plus complexe, nous devons poursuivre nos efforts pour l’y aider.

Ce n’est pas ce qui a été fait pour le Père Jean-Jacques Villaine ?

Effectivement. La situation du père Villaine a été traitée selon les modalités que je viens de présenter : une personne victime s’est manifestée en mai 2021 auprès du diocèse pour des faits graves que le père Villaine a reconnus. Je l’ai rencontrée en présence d’un membre de la cellule d’écoute du diocèse. La justice civile avait été saisie par cette personne victime et j’ai tout de suite saisi la justice canonique. L’affaire était prescrite civilement, mais des sanctions canoniques ont bien été prises et communiquées au Père Villaine, alors âgé de 86 ans. La personne victime a été immédiatement informée Dans cette situation, j’entends aujourd’hui la demande forte des fidèles d’être informés. Le peuple chrétien est bien sûr en mesure d’entendre et de connaître les sanctions graves concernant les prêtres, les évêques et les laïcs en responsabilité dans l’Eglise.

Certains voudraient que toute sanction soit systématiquement publique. La question de la publication appelle cependant un discernement relatif à la nature et à la gravité des faits, puis des sanctions correspondantes. Ce discernement est destiné notamment à décider dans chaque cas de la possibilité pour la personne condamnée d’exercer encore ou non un ministère, même restreint. La Commission nationale d’expertise indépendante (« Commission Christnacht ») permet aux évêques d’être aidés dans ce discernement.

Si des personnes ont été victimes de gestes ou d’actes répréhensibles de la part du Père Jean-Jacques Villaine, je renouvelle mon invitation à contacter la cellule d’écoute et d’accueil des personnes victimes du diocèse de Versailles. Et si d’autres fidèles veulent dénoncer des faits dont ils auraient été victimes dans le diocèse de Versailles, surtout qu’ils se manifestent.

Comprenez-vous le désarroi, voire la colère des fidèles depuis la révélation de Mgr Santier et l’aveu du cardinal Ricard ?

Non seulement, je les comprends mais je les partage. Pendant plus de six ans, j’ai été responsable de la Cellule de lutte et de prévention contre la pédophilie dans l’Eglise en France et je suis vraiment honteux et indigné devant ces nouvelles affaires : comment les personnes victimes avec qui nous avons fait route vont vivre ces trahisons et vont-elles encore nous faire confiance ? Comment accepter de travailler avec les évêques pour rendre plus sûre cette maison qu’est l’Eglise ? Alors qu’un an après le rapport de la Ciase bien des diocèses, comme celui de Versailles, ont travaillé fortement pour la protection des mineurs, tout semble ou est remis en cause. J’ai reçu bien des courriels et des lettres d’amis, de personnes proches, de diocésains ou de personnes inconnues qui m’ont fait part de leur colère, de leur incompréhension et de leur perte de confiance dans l’Eglise et ses responsables. Je ne peux que réaffirmer avec force à chacun ma détermination de poursuivre ce travail si nécessaire auprès de l’accueil de personnes victimes et ma volonté de mettre en œuvre les moyens pour lutter contre ce fléau des abus.


  • Cellule d’écoute et d”accueil du diocèse de Versailles : ecoutevictimes@catholique78.fr
  • Cellule nationale de la Conférence des Evêques de France : paroledevictimes@cef.fr
  • Plateforme indépendante et nationale d’aide aux victimes d’abus sexuels dans l’Eglise – France victimes : 01 41 83 42 17

→ La Commission nationale d’expertise indépendante souvent appelée “Commission Christnacht”

La Commission nationale d’expertise indépendante mise en place en 2016 dans le cadre de la lutte contre la pédophilie dans l’Eglise a pour mission de conseiller les évêques dans l’évaluation des situations de prêtres suspectés ou convaincus d’actes de pédophilie, afin de les éclairer sur les missions pouvant être confiées à ces prêtres sans faire courir de risques à des mineurs. Elle n’interfère en aucune manière avec les procédures judiciaires. Elle se prononce, par conséquent, sur des cas pour lesquels la justice soit s’est déjà prononcée, soit n’a pu se prononcer, compte tenu des délais de prescription.
Cette Commission, présidée par Alain Chrisnacht, se compose de personnes diverses, choisies par le président en fonction de leur compétence et de leur expérience : juristes, médecins, psychologues, animateurs de mouvements de jeunes, parents…
Alain Christnacht est conseiller d’Etat honoraire. Il a été préfet, haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, conseiller au cabinet du Premier Ministre M. Lionel Jospin, de 1997 à 2002, conseiller au cabinet du maire de Paris, M. Bertrand Delanoë et, de juin 2015 à janvier 2016, directeur de cabinet de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice. Il est aussi membre de l’Observatoire de la laïcité et membre de la Mission d’écoute et de conseil sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, placés auprès du Premier ministre. A titre associatif, M. Christnacht est membre du conseil d’administration des Scouts et guides de France et président du groupe d’associations Union des centres de plein air (UCPA).
Source : Eglise.catholique.fr


Télécharger l’interview