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Un patrimoine méconnu, les croix en fonte des cimetières de nos villages


Depuis 2019, le Printemps des Cimetières – événement national annuel, né au sein de la commission Patrimoine funéraire de la région Auvergne-Rhône-Alpes –  met en valeur le patrimoine funéraire sous tous ses angles. En 2023, le cimetière de Montfort l’Amaury a proposé une exposition et une visite guidée sur le thème de l’année : Cimetières et symboles, dont les croix en fonte.

Le Printemps des Cimetières

Lors de ces journées du patrimoine funéraire, associations et communes sont invitées à faire découvrir les cimetières sous un jour nouveau, celui de musées à ciel ouvert où se côtoient architectures, végétaux et symboles. Parler des personnes qui y reposent permet d’aborder l’histoire locale et nationale. La sauvegarde de ces lieux de mémoire interroge des sujets aussi variés que l’évolution de la société, les croyances, la littérature, les différents courants architecturaux et artistiques, les savoir-faire, l’écologie, la faune et la flore. Visites guidées, expositions, conférences, théâtre, concerts, concours photos, permettent chaque année un nouvel éclairage, de nouvelles découvertes auxquelles le public s’intéresse.

La fonte funéraire de nos cimetières

Croix en fonte moulée avec, côté face, un ange tenant une guirlande de fleurs qui forme une couronne. Originalité de ce modèle : le dos creux est entièrement décoré d’un rosier non fleuri (mort d’une enfant). Fonderie Portillon-Tours (Indre et Loire) 1914, cimetière de Montfort-l’Amaury.

Longtemps ignorée, voire méprisée, la fonte funéraire est aujourd’hui reconsidérée grâce à la redécouverte des symboles dont elle est ornée. Ce petit patrimoine ordinaire, souvent recouvert de rouille, illustre un courant né au milieu du XIXe siècle du développement de la sidérurgie, avec la mise au point de la fonte dite de deuxième fusion. Moins coûteuse que le bronze et le fer forgé, la fonte de fer permit de démocratiser le mobilier ornemental : grilles, balcons… et la statuaire civile et religieuse, dont les croix et enclos funéraires.

 

Les modèles des fonderies

La facilité d’assemblage des moules permettait de personnaliser chaque sépulture par une infinité de combinaisons à partir des catalogues de modèles proposés par les fondeurs. Les premiers catalogues furent publiés vers 1840 et les derniers autour de 1930. En France, 28 sites ayant produit du mobilier funéraire durant cette période ont été identifiés à ce jour, répartis dans 14 départements. Les croix des cimetières de Montfort-l’Amaury, Grosrouvre et du Tremblay-sur-Mauldre, que j’ai étudiées, toutes différentes, ont été fondues principalement en Haute-Marne, mais aussi dans la Meuse, les Ardennes ou l’Indre-et-Loire. Leurs modèles ont été retrouvés sur des catalogues datés de 1853 à 1928, par un collectionneur et chercheur passionné de Mayenne, Pierre Martin.

 

Le décor moulé des croix

– La croix en fonte est le plus souvent de forme plate ajourée, avec un décor en demi-bosse. Certaines sont en volume de section ronde ou hexagonale, creuses à l’intérieur. Elle comporte généralement un décor géométrique plus ou moins complexe et des motifs végétaux à valeur symbolique, parfois un décor architectural de style gothique,

Fonderie de Pont-sur-Saulx (Meuse) 1924, cimetière de Grosrouvre.

Modèle d’une croix issue du catalogue de 1899 de la fonderie A. Corneau (Ardennes) se trouvant dans le cimetière de Montfort-l’Amaury.

A gauche, le Christ est ceint d’une couronne et crucifié par quatre clous, pieds côte à côte. Les trois branches supérieures sont couvertes de blé mur. Sous les pieds du Christ, deux belles grappes et entre les anges pousse un roseau.
Tous les symboles de l’Eucharistie sont là : le pain, le vin et l’eau. Le vin coupé d’eau rappelle l’union des deux natures – divine et humaine – dans la personne du Verbe incarné. Au pied de la croix, deux anges sont debout dos à dos en prière.

A droite, ce modèle de croix en fonte plate ajourée est ornée des instruments de la Passion. Au centre, le calice et l’hostie, marquée d’une croix, entourés d’une étole brodée. De chaque côté du losange, une grappe de raisin, des quatre angles, partent de petits faisceaux de rayons. Au-dessus : trois clous et le titulus INRI. Sur le fût : l’échelle, la sainte lance et l’éponge vinaigrée au bout de la tige de roseau. Sur la branche gauche : le fouet, les tenailles et le marteau. À droite : l’aiguière et un long plat creux avec anses enlacés par un linge, évocation du lavement des mains de Ponce Pilate, ainsi que le glaive de Saint Pierre.

Il n’est pas possible de savoir pour quel défunt cette croix a été choisie, car il s’agit d’un réemploi, elle est scellée à l’envers, face vers l’extérieur de la tombe.

 

Les centres des croix

Au centre de la croix se trouve le cœur de la foi et de l’espérance du défunt ou de sa famille : un Christ crucifié, avec les pieds joints ou côte à côte ; une Vierge entourée de roses ; un sablier, souvent ailé ; une urne funéraire couverte d’un linceul ; un cœur enflammé entouré d’une couronne d’épines ; des accessoires religieux tels qu’encensoir, étole, calice, hostie ; la Sainte Face ou Mandylion, ce linge portant le visage du Christ ; l’Agneau ; la Bible ; la Trinité ; une étoile à cinq ou huit branches ; un acronyme…

Au centre, deux angelots dans les nuées. Plus bas, le sablier ailé conduit l’âme vers le temps d’une vie nouvelle.
Fonderies d’Art du Val d’Osne (Haute-Marne) 1900, cimetière de Montfort-l’Amaury

Au centre, l’Œil Divin rayonne dans les nuées, entouré de quatre angelots.
Fonderie Ovide Martin à Sommevoire (Haute-Marne), 1853, cimetière de Montfort-l’Amaury

Tombe d’une jeune femme de 22 ans inhumée en 1928.
La croix est entièrement ornée d’un entrelacs de vigne, parsemé de petites grappes de raisin. Au centre, la Vierge n’est pas entourée de roses, comme partout ; elle porte l’Enfant bénissant les bras levés dans une attitude rare. Fonderie Durenne (Haute-Marne), cimetière du Tremblay-sur-Mauldre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au pied des croix

Au pied de la croix on trouve souvent un ou deux anges, parfois un saint.

L’Archange Michel guerrier, vainqueur des forces du mal, plante de la main droite son épée ondulée dans la gueule du dragon qui se tord à ses pieds. Fonderie Ovide Martin à Sommevoire, 1853, Montfort.

Ici saint Michel est jeune, aux cheveux bouclés et couvert d’un élégant drapé, avec une épée droite dans la main gauche. Fonderies d’Art du Val d’Osne, 1900, Montfort

Au pied de la croix, Saint Pierre attend à la porte du Ciel. Les extrémités des branches de cette croix portent le Tétramorphe. Fonderie Durenne (Haute-Marne) 1889, cimetière du Tremblay-sur-Mauldre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autres éléments de décor

– Sur la hampe et les branches, on peut trouver : l’Eucharistie représentée par la présence de grappes de raisin et d’épis de blé ; le « tétramorphe », symbole des quatre Évangélistes, montrant les têtes ailées de l’aigle, du lion, du taureau et de l’ange ; les instruments de la Passion, plus ou moins nombreux ; des fleurs à cinq pétales ou l’étoile à cinq branches pour les cinq plaies du Christ.

– Les acronymes : INRI, inscrit au-dessus de la tête du Christ en croix. Parfois, dans le décor de la hampe ou au centre de la croix, des lettres entrelacées symbolisent le Christ ou la Vierge : IHS, JHS ou JS, et AM.

– Les végétaux : couronnes et guirlandes de fleurs, immortelles, lys, roses et cynorhodons, feuilles, pampres et grappes de raisin, épis de blé, roseaux, lierres, trèfles, pensées, chrysanthèmes, chardons, pommes de pin, fruits, palmes, acanthes…

Forme traditionnelle de l’ouroboros (serpent qui se mord la queue) symbole de l’éternel retour. En couronne, ici autour d’une pomme (ou pêche).
Fonderie Ovide Martin à Sommevoire, 1853 Montfort-l’Amaury

Forme traditionnelle de l’ouroboros (serpent qui se mord la queue) symbole de l’éternel retour. En forme de 8 (l’infini).
Fonderies d’Art du Val d’Osne, 1900, Montfort-l’Amaury

Exemple d’un fût de croix orné de l’acronyme AM dans un cercle séparant l’épi de blé de la grappe de raisin. Fonderie de Bayard et St-Dizier (Haute Marne) 1921, cimetière de Grosrouvre

 

 

Les symboles sont nombreux et varient selon les régions. Ils font l’objet de listes alphabétiques diverses, dont aucune n’est complète à ce jour.

 

 

 

La Préservation

Ce patrimoine disparaît peu à peu pour faire de la place. Lorsqu’elles ne sont pas détruites, les croix provenant de concessions non renouvelées ou abandonnées, que les communes ont reprises, forment des « jardins d’art et de mémoire » le long d’un mur. Il serait utile d’y ajouter un panneau donnant le nom des fonderies et la signification des symboles. Parfois des concessions avec croix et entourage en fonte sont maintenues en place et font l’objet d’une procédure d’inscription au patrimoine d’intérêt communal, comme à Grosrouvre. Dans d’autres cas, le mobilier funéraire est relevé, restauré et réutilisé.

 

Jardins d’art et de mémoire

La tentation est forte de renommer ainsi les cimetières ! L’idée est de participer à la réintroduction du monde de l’art dans le funéraire, par la création d’œuvres uniques ou de séries (fonderie) fixées soit sur la pierre tombale, soit en remplacement de celle-ci sur un gazon fleuri. Pour les crémations, il est possible de concevoir des sculptures-urnes, ou des plaques de colombarium personnalisées : bas-relief, incrustation de bronze ou de céramique, mosaïque… La pérennité des œuvres au terme des concessions doit faire l’objet de règles précises dans un contrat établi entre la famille et la commune.

La plaine traversée, par Jean Anguera. Résine, 2020. Sculpture commandée pour sa tombe par le poète franco-libanais Salah Stétié. Ce chemin, qui n’a ni commencement, ni fin, symbolise notre passage sur terre. Exemple de ce qu’un artiste peut faire aujourd’hui dans un « jardin d’art et de mémoire ». Cimetière du Tremblay-sur-Mauldre.

 

Pour élargir notre propos

Cimetière Montfort-L’Amaury

Cette croix minérale est installée sur la roche du mont Golgotha et enlacée par un lierre sculpté, symbole d’attachement et d’éternité.

La tombe est close par une chaîne soutenue par des flambeaux retournés dont la flamme s’éteint par manque d’oxygène. Le flambeau est alors la métaphore du corps humain et la flamme de l’âme qui s’échappe. Lorsque les flambeaux portent leur flamme en haut, ils éclairent le chemin.

Cette croix en pierre est identique aux croix en fonte de section ronde qui simulent l’assemblage de deux rondins sur lesquels grimpe un lierre. Une symbolique qui n’est donc pas liée à la technique utilisée.

C’est une photo synthétique assez emblématique de la période concernée.

Yvette Vibert

Chargée de mission

Amis de Grosrouvre

 

Sources documentaires

Cimetières et patrimoine funéraire. Étude, protection, valorisation, ouvrage collectif dirigé par Isabelle Duhau et Guénola Groud, Paris, Ministère de la Culture, direction générale des Patri­moines, 2020, 365 p. (Inventaire Général, Documents & Méthodes).

La Mougeotte n°70 Infolettre du réseau international de la fonte d’art, mai 2017, par Pierre Martin, Société d’Archéologie et d’Histoire de la Mayenne (SAHM)

– http://www.patrimoineaurhalpin.org/printemps-des-cimetieres/

– https://printempsdescimetieres.org/