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Saint Louis ou les vertus cardinales selon le peintre Maurice Denis


À Saint-Germain-en-Laye, le musée Maurice-Denis ouvre au public la maison de l’artiste (1870-1943) acquise par ses soins en 1914, dite Le Prieuré, ancien hôpital de la ville. La décoration de la chapelle va occuper l’artiste de 1915 à 1928. Il s’adjoindra l’aide de l’architecte Auguste Perret et des Ateliers de l’Art Sacré fondés en 1919 à son initiative. De l’aveu du P. Couturier, « […] il faut l’avoir vue, un beau matin, par une bonne lumière, avec ses grands camaïeux bleus et gris sur les murs » pour juger de son caractère admirable.

Aujourd’hui, on pénètre dans la chapelle du Prieuré en venant de la maison du peintre, transformée en musée. Arrivé dans le chœur, à gauche de l’autel, le regard se porte aussitôt sur un grand tondo peint à fresque et doté de l’inscription SCTI LUDOVICI FORTITUDO. C’est l’un des quatre médaillons qui entourent l’autel et représentent les vertus cardinales : la Force, la Tempérance, la Justice et la Prudence. Maurice Denis en a puisé l’inspiration dans les illustrations de la Bible de saint Louis imprimée à Tolède entre 1226 et 1234. Platon et Aristote en font mention comme avant eux le Livre de La Sagesse (8,7). Elles fourniront un sujet de réflexion aux Pères de l’Église, saint Ambroise et saint Augustin. Ici, Maurice Denis les illustre par la geste de Louis IX (1214-1270), tenu pour roi saint et chevalier idéal.

Les vertus cardinales désignent les qualités qui font la valeur d’un homme comme le mérite et le courage d’une manière essentielle. L’étymologie de l’expression en montre la force : « cardinales » vient du latin cardo qui désigne la charnière, le pivot. Comme les Béatitudes, elles mènent l’homme à Dieu. Elles sont complétées par les vertus théologales exaltées par saint Paul : la Foi, l’Espérance et la Charité (1 Cor 13,13).

SCTI LUDOVICI JUSTICIA La justice de Saint Louis

Thomas d’Aquin faisait de la justice une vertu indispensable à la société idéale.
La figure de saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes est passée dans l’imaginaire collectif. Ici, Maurice Denis représente la fin du litige opposant le pauvre, tête inclinée et chapeau bas, à la droite du roi qui lève la main vers lui comme pour désigner la vérité. À gauche, le personnage a la tête couverte d’un bonnet, il est richement vêtu et désigne un document écrit, donc « juste » ? Le roi n’est pas couronné, mais auréolé ; il est vêtu d’une simple robe blanche à capuche et il lève les yeux au ciel pour signifier que la justice vient de Dieu. Derrière lui, le chêne mythique à la manière des arbres décoratifs de Maurice Denis, mais les feuilles sont bien réalistes. Pas de perspective, des ombres colorées, l’artiste s’inscrit dans le mouvement Nabi dont il est l’un des fondateurs.

SCTI LUDOVICI TEMPERANCIA : La tempérance de saint Louis

La tempérance permet de contrôler ses propres instincts pour parvenir à l’oubli de soi et porter à « l’amour se donnant tout entier » (Saint Augustin, Des mœurs de l’Église catholique, livre 1, chap. 15). Ainsi les Pères de l’Église passent-ils de la tempérance, vertu cardinale, à la charité, vertu théologale.
C’est dans cet esprit que Maurice Denis choisit l’iconographie de ce médaillon. Ici le roi, robe de bure et auréole, est à genoux, dans la posture du Christ le soir du Jeudi saint, durant le Lavement des pieds (Jn 13, 1-20). En fait, il soigne les indigents dont les jambes portent les marques de la maladie. Un moine contemple la scène – discret rappel du Tiers-Ordre franciscain auquel appartient le roi. Il ne dispose que d’une bassine, d’une cruche d’eau et d’un linge, mais il est le thaumaturge qui guérit les écrouelles au simple toucher. Les guérisons de saint Louis ont été qualifiées de miraculeuses lors de son procès en canonisation (4 août 1297). La palette de l’artiste est plus colorée, mais blancs et bleus dominent sur fond d’ogives médiévales. Un grand silence se dégage de cette scène où les regards convergent vers les mains et les bras lumineux du roi.

SCTI LUDOVICI PRUDENCIA La prudence de saint Louis

La prudence est tenue pour la première des vertus cardinales. Il s’agit de la capacité à discerner, à évaluer et appliquer le bien ; elle est assimilable à la Sagesse qui mène au salut.
Saint Louis, assis sur son trône, a revêtu le manteau royal bleu semé de fleurs de lys. Il porte le sceptre et la couronne, mais il a gardé son auréole. Agenouillé devant lui, un chevalier en cotte de mailles, épée au côté est lui aussi couronné. Sans doute s’agit-il d’Henri III d’Angleterre, venu rendre hommage à son royal suzerain à la suite du traité de Paris (1258) qui mettait une fin provisoire au conflit opposant Capétiens et Plantagenets pour les domaines d’Aquitaine. Les trois ordres du Moyen Âge sont représentés, les chevaliers, l’Église avec l’évêque portant robe et mitre rouges, un moine et un simple clerc qui consigne l’événement sur le papier. Le tondo à dominante bleue et blanc irisé est juste enrichi par l’écarlate de la robe et de la mitre de l’évêque.

SCTI LUDOVIC[I] FORTITUDO La force de saint Louis

« La force […] se distingue dans les activités de guerre et dans la paix, par la grandeur et l’élévation de l’âme, et […] se signale par la vigueur physique » écrit saint Ambroise.
Maurice Denis brosse une scène de guerre – saint Louis a participé par deux fois aux croisades et trouva la mort en 1270 à Carthage, alors que son armée était décimée par la dysenterie ou le scorbut. Cette fois, le roi est représenté en plein combat, revêtu de la cotte de mailles et d’un vêtement marqué de la croix. L’épée levée, il a quitté son cheval, lancé dans un assaut furieux contre les infidèles au visage sombre mangé par une barbe noire. Sur son écu fleurdelisé, trois flèches plantées vers son cœur dont les ombres insolites semblent venir d’une lumière intérieure. Au fond de la composition, on reconnaît les coupoles de Sainte-Sophie de Constantinople, siège du royaume latin d’Orient depuis 1204. Le hiératisme de Maurice Denis a fait place au mouvement et à la fureur. L’arabesque du maître fait vibrer la forme du cheval effrayé et enveloppe l’ensemble de la composition dans une vaste spirale aboutissant à la croix rouge sur la poitrine du roi.

Vertus et béatitudes représentées

Les quatre tondi du chœur trouvent des échos dans la figuration des Béatitudes aux teintes monochromes qui ornent les murs latéraux. Quel contraste avec les trois vertus théologales, logées au-dessus de la porte d’entrée ! Foi, Espérance et Charité : le peintre a singularisé chaque vertu en lui assignant une couleur et un geste. Est-ce de pur hasard, si elles représentent le drapeau français ?

« L’utilisation de la victoire, écrivait-il, c’est pour nous le devoir de rétablir nos églises et de les parer, non à l’ancienne mode, mais avec nos moyens et notre sensibilité d’aujourd’hui, non avec notre érudition mais avec notre piété et notre cœur ». N’est-ce pas ce qu’il a cherché à faire dans sa chapelle du Prieuré, à travers le cycle des vertus mettant en scène saint Louis de France ? (Maurice Denis, Les Nouvelles directions de l’art chrétien, 1919).

 

Chantal Courtois, mars 2023
Photos Bernard de Salaberry


Infos pratiques sur le site internet du musée Maurice-Denis

Bibliographie

– Maurice Denis, Catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, Octobre 2006-janvier 2007.

– Jean-Paul Bouillon, Maurice Denis. Le Spirituel dans l’art, Découvertes Gallimard/RMN 2006.

– Jacques Le Goff, Saint Louis, Gallimard, 1996.

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