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Repose d’un tableau de la contre-réforme dans l’église de Rosny-sur-Seine


“Le témoignage de Jean-Baptiste” est un tableau à redécouvrir après les merveilles du travail de restauration d’œuvres d’art. Le 25 septembre 2023, l’église Saint-Jean-Baptiste de Rosny-sur-Seine voyait revenir en ses murs un tableau anonyme du XVIIe siècle, classé en 1994, mais parvenu à un état de dégradation qui justifiait une restauration urgente [1]

Qui a vu l’œuvre lorsque fut lancée l’opération de financement complémentaire par la Sauvegarde de l’art français[2], en mai 2022, n’en croit pas ses yeux. Est-ce bien la toile qu’il avait aperçue il y a un peu plus d’un an ? Suite à de profondes altérations – deux déchirures transversales, un trou, de multiples déformations et lacunes – le tableau avait perdu sa lumière et jusqu’à l’expression des personnages.

Tableau Rosny-sur-Seine avant restauration

Nommée Témoignage de saint Jean-Baptiste, cette œuvre est une illustration de l’art de la Contre-Réforme – visible dans le modèle de Joseph portant un rameau fleuri, et dépeint sous les traits d’un homme jeune. Le tableau montre la présence d’influences napolitaines, notamment dans les personnages des vieillards[3].

La nouvelle jeunesse donnée au tableau invite à en admirer les détails pour entrer dans sa lumière spirituelle.

 

Le témoignage de Jean-Baptiste ?

Détail Saint Jean-Baptiste, photo Corinne Prevost

Le titre demande explication : Jean-Baptiste est représenté sous les traits d’un tout jeune homme, au seuil de l’adolescence. Vêtu de la tunique de poil de chameau dont parlent les évangiles (Mc 1,6 ; Mt 3,4), il s’apprête à baiser la main de Jésus en signe d’adoration. Sur son genou repose le phylactère surmonté d’une croix, où est inscrite sa parole : « Voici l’Agneau de Dieu[4] ». Le dernier des prophètes confesse ainsi la divinité du Christ et sa mission salvatrice.

 

 

 

 

 

Détail tableau Rosny

Le geste de Jean-Baptiste est en quelque sorte missionnaire

En effet, au premier plan, deux personnages « avancés en âge » (Lc 1,7), par leur attitude, attirent l’attention sur Jean-Baptiste qui reconnaît le Sauveur.
Sans doute s’agit-il des parents du prophète du désert dont l’évangile de Luc rapporte l’histoire en ses premiers chapitres. Élisabeth, qui se tourne vers le spectateur, de sa main droite, guide le regard vers le groupe central des deux jeunes gens. Le vieillard Zacharie à qui l’incrédulité avait fermé la bouche (Lc 1,20) se prosterne vers le sol pour baiser les pieds du Christ, en signe d’adoration.

Jean-Baptiste les entraîne dans son sillage et derrière eux, les spectateurs se laissent conduire vers la figure du Christ placée au centre de la composition. Bien que les couleurs de son vêtement ne distinguent guère Jésus des autres personnages, il s’agit bien d’un Christ en majesté. Le visage serein et doux est jeune ; la main droite bénit et le pied repose sur le globe terrestre en signe de sa domination sur l’univers. À peine aperçoit-on autour de sa tête quelques pâles rayons lumineux. Le Dieu qui s’incarne est à la fois Dieu caché et Dieu révélé dans sa puissance universelle de salut.

 

Une assemblée énigmatique

Détail tableau Rosny : Marie

La tentative d’identification des personnages nous permettra-t-elle d’approfondir encore le message spirituel de la toile ? Il est facile de reconnaître Marie et Joseph, tous deux tenant leurs mains croisées sur leur cœur ; ils contemplent le Dieu fait homme, reconnu par d’autres personnages du tableau. Marie est saisie de profil, sous les traits d’une femme simple, comme c’est le cas dans de nombreuses œuvres du XVIIe siècle.

Cependant, l’on reste plus perplexe devant les deux vieillards qui encadrent la scène à l’extérieur. Qui sont-ils ? Deux interprétations sont possibles : soit il s’agit des parents de Marie, Joachim et Anne, dont le culte prend vigueur durant la Contre-Réforme, bien qu’ils ne soient jamais mentionnés dans l’Écriture[5], soit il s’agit de deux autres personnages de l’évangile de Luc (2,22-38) : Siméon et Anne. Aucun emblème ne vient les identifier avec certitude. Seul le bâton dans la main du vieil homme atteste son plus grand âge, mais cet indice ne permet pas de trancher en faveur de l’une ou l’autre identification.

La première hypothèse restituerait une généalogie.

En mettant en scène parents et grands-parents de Jésus, le tableau incarnerait encore davantage le Christ dans la chair. Cette filiation humaine est la matière de plusieurs méditations au seuil des évangiles, qu’il s’agisse de Matthieu (ch. 1) ou de Luc (3, 23-38), sur la longue attente du Christ et sa pleine humanité. La piste offerte par la Tradition qui identifie les grands-parents du Christ est féconde, mais la piste scripturaire ne l’est pas moins.

Seconde hypothèse, il s’agirait de Siméon et Anne

Siméon et Anne[6] n’apparaissent qu’une fois dans les Évangiles, dans le passage-clef de la Présentation au Temple, moment où Marie et Joseph accomplissent les prescriptions de la Loi (Lc 2,22-24) : par le sacrifice de deux colombes, ils viennent racheter leur premier-né, suivant la précision donnée en Lv 12,6. C’est aussi le moment où Dieu entre dans le Temple dans la personne de Jésus, en une sorte de discrète théophanie[7]. Or, que figure le Témoignage de Rosny-sur-Seine, sinon le Christ en majesté sous les traits d’un enfant – sans doute « le plus beau des enfants des hommes » (Ps 45,3) ?

Les yeux levés du vieil homme à la physionomie si paisible caressent un lointain inaccessible. Ses « yeux ont vu le salut ». Il est difficile de dire sur quel objet se pose le regard de la femme aux traits lourdement marqués, reflet du temps qui passe ; elle est avant tout présence. Anne la prophétesse, qui ne quittait pas le Temple, avait atteint l’âge de « quatre-vingt-quatre ans » (Lc 2,37). Symboliquement, ce multiple de 7 et 12 désigne la plénitude de l’attente de tout Israël – de ses douze tribus.

Détail tableau Rosny : la prophétesse Anne

 

Le vieux Siméon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des générations différentes se pressent autour de Celui qui est, qui était et qui vient. Il n’est pas difficile d’entendre chanter sa louange, surtout si l’on songe que trois de ces personnages prêtent leur voix pour rythmer le temps, chantant, comme le moine aux diverses heures du jour : « Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël », « Mon âme exalte le Seigneur », «  Maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur s’en aller […] car mes yeux ont vu le salut[8]… » Le jeune Christ en majesté, espérance du monde au long des âges, reconnu par Jean-Baptiste comme l’Agneau de Dieu, attire maintenant notre regard dans une nouvelle et splendide lumière.

 

Marie-Christine Gomez-Géraud

octobre 2023

 

 

[1] Le dossier de sauvetage a été suivi par Catherine Crnokrak, CAOA des Yvelines, et la surveillance de la repose du tableau par Helga Rouyer-Briantais, qui lui succède maintenant à ce poste. La restauration s’est déroulée sous l’égide de la DRAC, qui en a assuré le suivi scientifique et technique. Corinne Prevost en a assuré la restauration. Elle a aimablement fourni certaines des photos de cet article.

[2] https://www.sauvegardeartfrancais.fr/projets/saint-jean-baptiste-rosny-sur-seine/

[3] La suggestion a été faite par H. Rouyer-Briantais qui reconnaît des modèles présents dans la peinture de Guido Reni, Caracciolo et Giordano.

[4] « Ecce agnus Dei » (Jn 1,29).

[5] Ce sont les apocryphes (Protévangile de Jacques, au IIe siècle et Évangile de la Nativité de Marie, au siècle suivant) qui en rapportent l’histoire. Vénérés très tôt en Orient, leur culte tarde à s’imposer en Occident. Le personnage de Joachim n’apparaît vraiment qu’au XVe siècle. Durant la Contre-Réforme, les papes encouragent leur vénération.

[6] Il faut, pour l’admettre, quitter une vision réaliste du temps qui impliquerait l’impossibilité pour Siméon et Anne d’avoir connu le Christ une dizaine d’années après sa présentation au temple, vu leur âge avancé. Or, il est clair que ce tableau qui met en scène un jeune Christ en majesté ne cherche pas le réalisme (le détail du pied du Christ posé sur le globe terrestre le dit assez). Il porte une autre vérité.

[7] Il faut lire à ce sujet les pages lumineuses de Jean Daniélou, Les Évangiles de l’enfance, Desclée de Brouwer, 1993 [1967], p. 98-101.

[8] Le Benedictus (cantique de Zacharie) est le cantique chanté aux laudes, le Magnificat (cantique de Marie) aux vêpres et le Nunc dimittis (cantique de Siméon) à complies.