Logo diocèse de Versailles

Aux Essarts-Le-Roi, l’Annonciation au prisme des Écritures


Cette peinture sur bois, anonyme et dont le style s’apparente à celui de la fin de l’époque gothique, concourt, grâce à un faisceau d’indices bibliques qui trouvent ici leurs sens, à mieux nous faire entrer dans le mystère du Verbe fait chair (Jean 1,14) – l’Annonciation fêtée le 25 mars.

Un tableau de l’église saint Corneille et saint Cyprien aux Essarts-le-Roi (140*80 cm)

Quand furent accomplis les temps… l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu à une jeune fille… dont le nom était Marie… (Lc1, 26-27). Dans ce récit fondateur de notre foi, Luc ne donne aucune indication qui permettrait de visualiser le dialogue de l’Ange avec Marie. Saint Bernardin de Sienne, prédicateur franciscain contemporain de Fra Angelico, évoquait ainsi ce mystère : L’éternité vient dans le temps, l’immensité dans la mesure, le Créateur dans la créature, Dieu dans l’homme, la vie dans la mort… l’incorruptible dans le corruptible, l’infigurable dans la figure,  l’invisible dans le visible… »[1] Qui peut alors représenter l’Annonciation ? Et pourtant, dès le tout premier art chrétien (catacombe de Priscille à Rome), des artisans, fins théologiens, ont osé mettre en image ce “pur fait de parole, acte du Verbe[2] qui réalise l’incarnation du Verbe en Marie “obombrée” de l’Esprit-Saint.

 

Marie et l’Ange

Marie et l’ange ne se regardent pas, mais leurs visages légèrement tournés vers le spectateur, l’invitent à entrer dans le mystère qui s’accomplit. Ils n’ouvrent pas la bouche, ne portent pas de phylactères[3], laissant à celui qui contemple le tableau la possibilité d’entendre et d’intérioriser, à sa mesure, la Parole de Dieu.

Le vêtement de Marie, loin d’être anecdotique, révèle la “grâce” qui la comble et la dignité de Mère de Dieu qu’elle reçoit par l’intermédiaire de l’ange. Sa robe est rouge, couleur de sang et de Passion, son manteau bleu foncé est teinté de l'”Ombre” qui vient sur elle et de la souffrance qui lui transpercera le cœur (Lc2, 35).

L’ange Gabriel, dont le nom signifie Dieu est fort, Dieu est puissant… porte lui-aussi un magnifique vêtement qui souligne sa fonction et sa mission de Porte-Parole de Dieu. Il plie le genou devant Marie qu’il salue de la main droite : “Kaïre”, c’est-à-dire “Réjouis-toi”. Son pied, que la fine sandale laisse voir, renvoie à ce verset d’Isaïe : “qu’ils sont beaux… les pieds du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut.” (Is 52,7). C’est bien de salut dont il est question dans son message.

 

Le lis à trois fleurs

La belle tige de lis à trois fleurs que l’Ange Gabriel tient de la main gauche, l’accrédite comme envoyé du “Bien-Aimé”, envoyé de celui qui proclame dans le Cantique des Cantiques : “Je suis le lis dans la vallée” (2,1). Le lis exprime au Moyen-Age[4], l’union du divin et de l’humain, il est l’emblème du Christ incarné, incarné jusqu’à la mort. C’est ce que traduisent les trois fleurs ouvertes ou fermée de notre tableau. Le peintre traduit ainsi cette phrase d’Albert le Grand, grand théologien dominicain du 13ème  : “Le Christ fleur a fleuri dans la Nativité, Il a défleuri dans la Passion, lorsqu’en lui ne furent plus ni aspect, ni beauté […] Il a refleuri dans la Résurrection selon la nature humaine, là même où il avait défleuri”[5]. Ce lis figure tout le mystère du Christ, de l’Incarnation jusqu’à la Passion et la Résurrection.

Cette tige de lis est aussi signe du printemps qui fait germer toutes fleurs. Si la date du 25 mars, équinoxe de printemps, a été choisie au VIIème siècle pour fêter l’Annonciation, c’est qu’elle évoque le re-fleurissement de toute la création depuis la création d’Adam et sa mort (toutes deux un 25 mars spécifie Jacques de Voragine ![6]) jusqu’à la mort et la Résurrection du Christ en qui ressuscitent tous les hommes ce même jour[7]. Le 25 mars est donc, au Moyen-Age, le jour mémorial de toute naissance à la vie humaine et à la vie éternelle. Il est le premier jour de l’année.

Jacques de Voragine, dans son chapitre de l’Ascension, ne manque pas de nous transmettre ce “bouquet” d’un fervent de la Vierge : “Nazareth veut dire fleur[8]. Ainsi dit Saint Bernard : la fleur (le Christ) voulut naître d’une fleur (Marie), dans une fleur (Nazareth), et dans la saison des fleurs. Ce fut donc là que l’ange lui apparut.” Le lis figurera ensuite la pureté de la Vierge, pureté qui lui vient du Christ, origine de tout[9].

Voici pourquoi le lis est si souvent représenté dans les images de l’Annonciation.

Marie lisant et méditant

Marie est assise sur un siège à haut dossier, une cathèdre dont l’accoudoir est orné d’une rose et d’un dauphin (au niveau de l’assise). Marie, fille d’Israël, médite en son cœur la réalisation de la promesse de l’ange.

Selon Saint Bernard, Marie est la rose sans épines”, la fleur des fleurs, mais aussi le jardin fermé de Dieu (hortus conclusus) dans lequel le mal ne pénètre pas…[10]

Depuis l’Antiquité le dauphin est le symbole du salut car la tradition veut qu’il sauve les naufragés de la mort en les conduisant jusqu’au port. Il orne fréquemment les accoudoirs des sièges du Christ ou des apôtres sur les sarcophages chrétiens des IVème et Vème siècles. Le dauphin évoquerait-il aussi le nom de Jésus (Ieshoua en hébreu) – c’est-à-dire Dieu sauve – nom que l’ange demande à Marie (Lc1, 31) de donner à son fils ?

La cathèdre sur laquelle est assise Marie fait allusion au trône de David (1,32) ancêtre de Jésus, elle anticipe le rôle de Marie, trône de la Sagesse[11], elle rappelle les stalles des monastères.

Marie tient entrouvert un livre d’Heures, livre qui, dès le Moyen-Age, associe les fidèles à la prière liturgique. Nous la voyons en train de “se lever [12], comme le spécifie  la Légende dorée, en signe d’acquiescement à la parole de l’ange et dans sa hâte d’aller visiter sa cousine Elisabeth en son sixième mois de grossesse.

 

Le Livre des Ecritures

Devant Marie le Livre des Ecritures est présenté sur un curieux et exubérant lutrin en bronze doré dont la branche haute semble la désigner. Comme dans presque toutes les images de l’Annonciation, le Livre est ouvert à la page où se lit la prophétie d’Isaïe (non déchiffrable ici) : “voici que la jeune fille est enceinte, elle va enfanter un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel” (Is 7,14). Une autre page, un peu plus loin, a été ouverte, peut-être sur une autre prophétie, associée à l’Annonciation : la vision finale du Livre d’Ezéchiel (Ez 44,1-2). On y lit que le prophète est conduit dans le Temple nouveau dont la porte orientale est close et le restera car “le Seigneur, le Dieu d’Israël est passé par elle. Elle le restera jusqu’à sa venue dans la gloire”, explique au prophète “l’homme qu’on aurait dit de bronze“. Cette porte close symbolise aussi, au Moyen-Âge, la virginité de Marie.

 

 

La porte close

La porte close prend une place très importante au centre de la composition, dans l’entre-deux qui sépare l’ange de Marie. Ses montants sont éclairés de façon très contrastée par la lumière qui provient de ce que l’on voit d’une minuscule fenêtre située dans un couloir. C’est de cette ouverture que survient la colombe. Dans une nuée lumineuse, elle figure l’Esprit-Saint venant sur Marie (Lc 1,35) tandis que la puissance du Très-Haut la couvre de son Ombre.

Et c’est sur cette porte close, fermée comme un mur, que se détachent le lis à trois fleurs, la colombe qui symbolise l’Esprit-Saint, et le Livre des Écritures, éléments visuels qui éclairent le Mystère de l’Annonciation.

Nous pouvons aussi y voir, avec Yves de Chartres, la porte du ciel : ” Aujourd’hui le sein de la Vierge devient la Porte du Ciel, par laquelle Dieu descend chez les hommes pour les faire monter au ciel”.[13]

La sobriété de cette porte contraste avec les éléments très divers que l’on trouve souvent dans les tableaux de l’Annonciation : colonnes, intérieur de maison, paradis terrestre, allée de jardin, arbre de Vie, ciel peuplé d’anges, crucifixion, tabernacle qui contient le Corps du Christ, né de Marie…

Peut-être ce tableau, au format très allongé, aurait-il servi de retable pour l’autel de l’abside d’une église, sa “porte close” vers l’orient coïncidant alors avec la maîtresse vitre de l’église orientée vers la venue dans la gloire du Seigneur ?

 

Conclusion

De ce tableau aujourd’hui conservé dans l’église des Essarts-le Roi, on ne connaît ni l’auteur, ni l’année, ni la provenance. Sa sobriété, son architecture quasi monacale, la fine connaissance sous-jacente des textes et de la spiritualité dominicaine ainsi que l’importance accordée à la clôture et à la virginité de la Vierge permettent d’émettre l’hypothèse d’une œuvre de la fin du 14ème ou du début du 15ème  plutôt destinée à un couvent qu’à une église. Mais la similitude (mentionnée par la base Palissy) du visage auréolé de la Vierge avec une vierge de Desiderente Ferrari du 16ème laisse ouverte la question de la datation.

La perspective[14] qui prend une place grandissante au XVème est presque inexistante ici, laissant toutes leurs importances aux seuils qui font passer l’œil du spectateur du premier plan dans lequel il se retrouve de plein pied, au couloir qu’il entraperçoit, jusqu’à la fenêtre minuscule dont il devine qu’elle ouvre sur le Ciel.

C’est dans le silence, la méditation et par un jeu très subtil de résonances bibliques, que le peintre a réussi à nous faire percevoir l’essentiel que voici : “Dieu devient homme et l’homme devient Dieu, le mystère tenu caché est manifesté… la prophétie prend fin et la Rédemption attendue arrive. La terre se mêle au ciel.”[15] 

 

Catherine de Salaberry

photos Bernard Salaberry

Bibliographie

DIDI-HUBERMAN Georges, Fra Angelico. Dissemblance et Figuration, Paris, Flammarion, 1995.

VORAGINE Jacques de, La Légende dorée, tome 1, Paris, 1957, L’annonciation de Notre Seigneur p248-255

PASTOUREAU Michel, Une histoire symbolique du Moyen-Age occidental, La librairie du XXIème siècle, Seuil, 2004

GARNIER François, Le Langage de l’image au Moyen-Age tome II Grammaire des Gestes, “Le Léopard d’Or”, Tours janvier 1989, chapitre VIII, La fleur de lis.p.205-222


[1] Bernardin de Sienne (De triplici Christi nativate) cité par Didi Huberman p.57

[2] Didi Huberman p.210

[3] Phylactère : dans l’art, longues et étroites banderoles sur lesquelles sont inscrites les paroles prononcées par les personnages représentés.

[4] François Garnier p.210

[5] Le “rejeton” du texte hébreu (Is11,1) a été traduit par fleur dans la Vulgate latine que lisent les Médiévaux.

Didi Huberman  note 128, p.417 “Et ma chair a refleuri (Ps 27,7Albert le Grand De Laudibus XII,4,2.)

[6] Jacques de Voragine, dominicain contemporain de St Thomas d’Aquin est l’auteur de la Légende dorée qui relate des éléments importants de la vie du Christ et de la Vierge (par ex : l’Annonciation) ainsi que celle de nombreux saints. La Légende dorée (écrite en latin) connaît un immense succès au Moyen-Age ; prédicateurs et artistes s’en inspirent. Elle ne répond évidemment pas à nos critères actuels de critique historique. Elle a été écrite et doit être lue (legenda) pour édifier et donner sens.

[7] p. 254 “Salut Jour de fête, qui referme nos blessures. L’ange est envoyé ce jour où le Christ mourut en croix ; à ce jour où Adam fut créé… Abel occis… Hérode coupa le cou de Jean-Baptiste où les corps des Saints ressuscitèrent avec le Christ où le bon larron entra dans la gloire du Christ.”

[8] Au Moyen-Age on fait venir l’étymologie de Nazareth du mot hébreu “netser” (Is 11,1) qui veut dire “rejeton” et que la Vulgate latine traduira par fleur.

[9] Michel Pastoureau p.101″Le lis se charge d’une forte dimension christologique au Moyen-Age…. après l’an 1000 sur ce contenu christologique se greffe une symbolique mariale.”

[10]Saint Bernard de Clairvaux Sermon 135

[11] Cf servidimaria.net/sitoosm/fr/textes-osm/litanies.pdf  Litanies de la Vierge : lignée d’Abraham, germe de Jessé, fille de Sion, Tabernacle du Très Haut, Trône de la Sagesse, Porte de l’Orient et aussi Rose mystique, Eve nouvelle, Fille d’Adam etc…

9 St Bernard : “O Vierge, hâtez-vous de vous de répondre, levez-vous !” cité par Voragine p.253

[13] Homélie de saint Yves de Chartres (+ 1115) Discours 15, PL 162, 583-586 L’admirable conception de Jésus

[14] C. Daniel ARASSE, L’Annonciation italienne Hazan Paris 1999 p. 13-15

[15] Michel Psellos, moine et brillant professeur du XIème Homélies mariales byzantines (PO 16[94]-[96]