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Chemin d’Emmaüs, chemin de paradis


Cette mosaïque des pèlerins d’Emmaüs a été réalisée en 2016 par Charlotte Chapuis-Subra pour la cour de récréation de l’école Saint-Jean Hulst de Versailles. Elle a été conçue pour présenter aux enfants, à leur hauteur, une image du Christ ressuscité cheminant avec des disciples auxquels ils pourraient s’identifier.

Charlotte Chapuis-Subra mosaïque école St Jean Hulst Versailles 15×1,80m

Pourquoi l’artiste a-t-elle donné tant d’importance à des éléments à peine évoqués ou même absents du récit bien connu des pèlerins d’Emmaüs (Lc24,13-35) ? A quoi font-ils référence ? Que peuvent-ils nous révéler ?

 

Voyons comment chaque élément du parcours des pèlerins peut proposer un chemin de foi pour ceux qui passent et repassent devant elle, jouent à côté, s’y arrêtent, traversent la cour…

Trois croix comme point de départ

Ce sont les trois croix du Golgotha qui initient le cheminement d’Emmaüs. Elles sont plantées en bordure d’un jardin aux arbres sans feuilles ni fruits. En une seule image se trouve condensée la Passion du Christ depuis son agonie à Gethsémani jusqu’à sa crucifixion.

La crucifixion hors de Jérusalem répond au Droit romain. Cette crucifixion “hors les murs” souligne aussi, pour de nombreux Pères de l’Église[i], que Jésus donne sa vie pour le monde entier et non pour la seule communauté de Jérusalem.

Les deux personnages hébétés, chancelants, qu’une branche morte enferme comme dans une grotte, quittent le jardin de la mort, courbés et murés dans leur désespoir. Ce sont les deux pèlerins, dits d’Emmaüs, qui avoueront, quelques versets plus loin, à Celui qui les a rejoints, qu’ils ont perdu tout espoir en Jésus de Nazareth. Et pourtant, ils le considéraient “comme un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple“. Il a été “condamné à mort et crucifié” alors qu’ils espéraient que “c’était lui qui allait délivrer Israël (Lc24,19-21)”. Les deux disciples marchent sur un chemin de mort.

Les étoiles qui brillent à travers les branches dénudées devraient cependant éveiller en eux une Espérance : “quelques femmes (…) ont eu la vision d’anges qui déclarent Jésus vivant (Lc24,22-23)“. Les pèlerins, ayant perdu ce qui faisait leur espoir, ne peuvent encore la percevoir.

En marche et comme transfigurés

Sont-ils bien les mêmes que ceux de la scène précédente ? Rejoints par le Christ, ils relisent avec lui les Écritures. Leurs yeux commencent à s’ouvrir quand ils l’entendent dire ” que le Christ devait souffrir sa passion pour entrer dans sa gloire (Lc24,26)”.

C’est le moment que l’artiste a choisi, comme dans les plus anciennes images[ii], pour les représenter à l’écoute de Celui qui leur explique les Écritures. Ils sont méconnaissables, comme transfigurés.

Ils sont habillés, tous trois, de vêtements qui déclinent les couleurs de feu du Livre tenu par le Christ. Ce sont celles du soleil de Pâques qui brille au centre de la mosaïque.

Avec le Christ, ils tournent le dos à la mort qu’ils viennent d’évoquer et marchent ensemble sur le chemin de la Vie, sans soupçonner encore que le Christ ressuscité puisse les “héberger dans sa Vie[iii]“, les prendre dans son Corps.

 

 

Une Parole de feu

Leurs cœurs, discrètement entourés de blanc, ont été embrasés par le Verbe de Dieu,” vraie lumière qui éclaire tout homme en ce monde“(Jn1,9). Le verset qui danse devant eux transmet aux lecteurs de Luc l’expérience de la présence intérieure qu’ils viennent de faire : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route[iv] et nous ouvrait les Écritures ? »  (Luc 24,32)

 

Une route sur laquelle plane l’Esprit

Nimbés d’or, sept personnages viennent d’une ville située à l’extrême droite de la mosaïque et agitent les palmes de la victoire. Ils font mémoire de la fête des Rameaux en célébrant Celui qui vient, le Roi de gloire, entouré des deux pèlerins. L’Esprit créateur les précède.

Mais de quelle ville viennent-ils ?

 

 

 

La ville aux trois palmiers ?

S’agit-il d’Emmaüs, ce village inconnu des archéologues, dont la localisation à 60 “stades[v]” de Jérusalem brouille toutes les pistes ? A moins que le “stade” ne soit pas une mesure d’arpenteur mais une mesure de maturité spirituelle : la reconnaissance, par les hommes, de Jésus triomphant du chaos de la mort. Des théologiens parlent de la mesure du “stade” comme d’une “proximité eschatologique” ou comme d’un “itinéraire à parcourir pour reconnaître une présence“. C’est bien en cet Emmaüs-là, sans localisation géographique possible, parce que partout possible, que les disciples reconnaîtront Jésus, fils de Dieu. Ils le reconnaîtront à la “Fraction du pain” (Lc24,25), alors même qu’il leur devient invisible : “Les disciples l’ont perdu de corps lorsqu’ils l’ont tenu avec la foi[vi]“.

Emmaüs se situe donc partout où cette communion se fait par, avec et dans le Ressuscité. Emmaüs est image de la nouvelle Jérusalem, qu’elle soit l’Église, la paroisse de chacun, l’école etc. C’est pourquoi tant d’œuvres, de communautés, de lieux de ressourcement ou de retraites se veulent être des “Emmaüs”.

Ici les trois palmiers sur une colline vert clair sont symétriques des trois croix sombres du Golgotha qui commencent la mosaïque. La Résurrection, que symbolisent leurs palmes toujours vertes, éclot de la Crucifixion. Dans la Bible, le palmier révèle toujours une source, une oasis ; il annonce la Terre promise dans laquelle le Peuple d’Israël entre après avoir traversé la mer.

“Le royaume de Dieu est parmi vous” (Lc17,21), ne le voyez-vous pas ? Les cailloux du chemin choisis et recueillis par l’artiste mosaïste proviennent de ses propres cheminements autour de la cathédrale de Sens et au bord de la mer à Nice. Ce sont en effet nos chemins que parcourt le Christ pour les ajuster et en faire son Chemin.

 

Le paradis

Cette ville évoquerait-elle le Paradis, dont le nom vient du persan, “pardès”, et veut dire Jardin ? Il a effectivement toute sa place ici, car il évoque l’histoire de l’adam au Jardin de la Genèse (Gn,2-3), dont le récit d’Emmaüs reprend le cheminement, en l’inversant :

  • Au tout début de la Bible, l’homme et la femme se trouvent expulsés du paradis pour s’être voulus comme Dieu et avoir mangé, pour eux et malgré l’interdiction divine, le fruit de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Ils connaissent alors la mort qui est séparation de Dieu.
  • En Luc 24 (presque à la fin de l’évangile de Luc) les pèlerins entrent, eux, au paradis après avoir assumé de passer par la mort avec le Christ. Recevant le “pain rompu“, leurs yeux s’ouvrent. Reconnaissant le Christ ressuscité, ils “connaissent” alors la Vie qui est communion avec Lui.

Le Paradis, c’est partager la Vie du Christ, ce que Saint Ambroise résume ainsi : “Où est le Christ, là est le Royaume. Car la vie consiste à être avec le Christ[vii].”

Lire les Écritures en y discernant le Verbe de Dieu, présent dès le “Commencement“, introduit au Paradis : “Lorsque je lis les Écritures, c’est Dieu qui se promène avec moi dans le Paradis[viii] » écrit Saint Ambroise. Saint Jean Chrysostome précise : “La lecture des saintes Écritures est (… ) un paradis de délices(…) Ce paradis, Dieu ne l’a pas planté sur la terre, mais dans les âmes des fidèles.[ix]

L’art de la mosaïste a consisté à orchestrer la résonance de toutes ces lectures, grâce à une “écriture” très symbolique du récit, à la façon de celle d’une icône. En un rythme soutenu, elle conduit de la mort à la Vie. La beauté de sa composition aux couleurs vives et franches est due à des milliers de morceaux de verre sélectionnés, découpés, placés chacun à sa juste place. Chacun de ces petits “tableaux” constitue une œuvre d’art. Cette mosaïque touche tous ceux qui prennent le temps de la contempler. Elle invite à marcher avec le Christ, ressuscité, à poser et à se poser des questions, à le reconnaître dans les Écritures, dans ce qu’il a fait hier et aujourd’hui dans nos vies, pour que chacun trouve son chemin d’Emmaüs, chemin de Paradis.

Catherine de Salaberry, Temps de Pâques 2022

 

Photos de Salaberry

[i] Par exemple Jean CHRYSOSTOME, texte 39, dans “L’année en fêtes” Migne 2000, p.275

[ii] Les premières images des Pèlerins d’Emmaüs présentent surtout la marche vers Emmaüs qui privilégie l’interprétation des Ecritures et leur accomplissement en Christ, lecture chère aux pères de L’Eglise. Avec la fin du Moyen-Age et l’apparition des querelles eucharistiques, le repas prendra la première place.

[iii] Patrice de La TOUR du PIN “Pour la fête du Saint-Sacrement”.

[iv] “le chemin” de façon plus christologique.

[v]  Le “stade”. Il est généralement compris comme une mesure de chemin. Le stade mesure 600 pieds grecs, soit environ 200mètres.

L’origine du mot stade vient du verbe grec : “être debout”.

L’évangile n’emploie ce terme que 4 fois (Mt14,24, Lc 24,13, Jn 6,19, Jn 11,18), toujours pour présenter Jésus vainqueur de la mort.

C’est pourquoi des théologiens en proposent une définition de l’ordre de l’expérience vécue et non pas d’ordre métrique.

Jean RADERMAKERS parle du stade comme de “l’itinéraire à parcourir pour reconnaître une présence” (“Jésus Parole de Grâce” Institut d’études théologiques de Louvain Luc “p.516)

Bruno CHENU parle du stade comme d’une “Proximité eschatologique” dans “Disciples d’Emmaüs” Bayard 2003 p.72

[vi] Saint AUGUSTIN Sermon 235, PL38

[vii]  Saint Ambroise “sur Luc” X,121

[viii]  St Jean Chrysostome, Epistula 49, 3 ; PL 16

[ix] Saint Jean CHRYSOSTOME  3ème Homélie sur l’inscription des Actes des Apôtres ; PG 51,87 (trad. coll. Migne, n° 66, p. 132)