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Redécouvrir la parole créatrice de Dieu et la place de l’homme dans la Création


Le Père Yann Le Lay a introduit la rencontre du 08 mars 2020 à la Queue-Les-Yvelines entre les agriculteurs des Yvelines et leurs évêques en proposant un temps d’écoute de la Parole de Dieu.

Le but de ce temps d’écouter ce que la Parole de Dieu nous dit sur notre relation à la terre, sur notre monde créé et la place de l’homme dans ce dernier. Quel sens et quelles relations existent-ils entre l’homme et la nature ? D’ailleurs, Plus que d’une nature, il nous faut parler de création car le fruit d’un don, d’un créateur.

Nous lirons le début de la Bible, la Genèse, le livre des origines, des commencements qui nous dit le sens et la beauté de notre création. Nous le ferons avec la lecture jointe de quelques pages de Laudato si’, 2ème encyclique du Pape François de 2015.

Une parole créatrice

Commençons par un verset d’un psaume, par la poésie : « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle de sa bouche » (Ps 33,6). Ce psaume nous rappelle que la création est don de Dieu, fruit d’une parole (« Dieu dit ») ; parole qui est prononcée dans le temps d’où jaillit le monde matériel mais aussi le sens. En effet, parole en hébreu se dit dabar, c’est-à-dire ensemble des actes / évènements. La parole n’est pas juste une pensée, elle est aussi réalisation continue et agir de Dieu. De même, parole en grec se dit logos qui est aussi le sens et la raison. Donc, Dieu crée en menant à l’existence, en y mettant du sens et de la raison et dès lors une direction vers laquelle nous cheminons ensemble, homme, terre et création. La parole est créatrice au sens où elle est parole qui donne du sens et qui y met de la relation. Relations avec le créateur, relations du créé avec la créature principale qu’est l’homme et relations entre les hommes eux-mêmes.

La place de l’homme spécifique de l’homme dans la Création

Ouvrons le livre et prenons le 1er récit de création (Gn 1, 26-31). L’Homme est appelé à être « Maitre », c’est-à-dire non pas au sens de propriétaire et d’exploitant mais comme principe, axe central. Le mot employé en grec comporte la racine archè. Il est vu comme celui structure, qui est fondamental dans la vie de la Création. On y voit même posée une hiérarchie des êtres (contrairement à ce que nous pourrions entendre ou penser dans certains mouvements écologiques. De même l’homme est premier, indispensable et nécessaire).

Ensuite la première parole adressée par Dieu à l’homme est faite pour la vie et la fécondité. C’est une parole de déploiement et de croissance. Cela est bon. C’est donc un appel à l’accueil et à la gratitude pour cette vie et cette vitalité de la Création. Ceci est complété par un appel à soumettre ou dominer, c’est-à-dire à être dominus / seigneur. Comment l’homme doit-il être seigneur ou Intendant, gérant ? Par ce qui le caractérise, son image de Dieu en lui qui se traduit notamment par la raison, le logos, le sens ? L’homme est celui qui doit donner du sens et user de sa raison pour faire grandir et vivre cette création. Sa place est fondamentale.

Dans la suite du récit, Dieu donne ! Dieu a donné tout ce qui est – il y a une bonté dans cette création, mais il donne aussi toutes les ressources pour vivre et pour dominer, pour gérer, pour répondre aux questions que posent cette création : il est fait co-créateur. Rien ne manque à l’homme aujourd’hui pour gérer cette création, il a toutes les ressources spirituelles et intellectuelles pour cela. Vouloir éliminer l’homme, ce n’est pas croire dans cette bonté et cette disposition de Dieu.

Les limites données dans le jardin d’Eden

Dans le second récit de Création (Gn 2, 7-9.15-17), l’homme est placé dans un jardin, un espace clos avec des limites qui garantissent cette harmonie de Dieu avec l’homme d’abord, puis de l’homme avec le créé et enfin  des hommes entre eux. C’est un lieu de rencontre entre Dieu et l’autre, le créé. Dieu donne un espace d’exercice de la vie de l’homme avec ses limites, ses barrières, ses lois. L’arbre de la connaissance du bien et du mal (en manger, c’est être comme Dieu) est l’arbre du pouvoir et de la maîtrise du vivant, du créé, du don et non de la réception libre et plein de gratitude de ce qui est et de celui qui est. L’homme a reçu aussi un pouvoir limité dans une nature limitée et des facultés limitées. Ce jardin appelle à l’humilité et à l’écoute pour y rester. Pour autant, cette limite ouvre un espace de surabondance et de bonté où tous les fruits sont bons à manger : il y a de tout !

Dans ce jardin, l’homme a une double mission commentée par le Pape François dans Laudato si’ (67) : Cultiver et garder, c’est-à-dire travailler, faire grandir et préserver, transmettre. Les deux vont toujours ensemble. Ils s’appellent et s’équilibrent tout deux.

Le péché, dérèglement originel

Le récit biblique (Gn 3, 17-19) poursuit en relatant pourtant une cassure, une faille, un dérèglement originel dans le cœur de l’homme, le péché. En quoi consiste-t-il ? La saisie d’un pouvoir en vue d’une autonomie indépendante de toutes les relations, Dieu et sa Parole, la nature et ses lois, l’autre et sa dignité. Il constitue une sortie de l’espace, du raisonnable, de l’harmonie, au-delà des lois et des limites. Nous en voyons aujourd’hui les effets : des villes toujours plus grosses et bétonnées, une science toujours plus manipulatrice du vivant et spécialement de l’homme, des transports plus nombreux détachant du territoire, des cultures intensives qui usent la terre. Ce sont ces « épines et chardons » qui rendent la terre et le créé impraticable, inutilisable et toxique dans tous les espaces du monde et pas seulement le monde rural bien sûr. Il y a une prise de conscience de la fragilité de la terre, de son équilibre et de ses lois. La terre nous rappelle que nous sommes poussière et que le péché commis est lié à la mort de l’homme mais aussi du créé. Prenons acte que nous avons toujours vécu sous ce régime.

Si nous poursuivons encore le récit (Gn 4, 9-12), nous voyons les suites de cette cassure qui a commencé par une posture inadaptée et désobéissante avec le créé, par ce fruit. Mais elle s’agrandit et s’aggrave dans une fracture de la fraternité. Les deux frères, éleveur et cultivateur, se jalousent et ne s’accueillent pas. Ils s’opposent et se font concurrence : il y a un manque de reconnaissance de l’autre dans sa différence. Cela se traduit pas une perte de fraternité, une perte de lien avec le créé en général. L’homme entre dans un temps d’errance, de doute, d’incertitude et d’aléatoire. Cet enchaînement des faits montrent que « Tout est lié ! » comme le Pape l’affirme au numéro 70 de Laudaot si’.

N’en restons pas là mais suivons le récit, l’histoire au chapitre 6. Dieu se désespère de ce monde-là fractionné et déséquilibré. Comment le redresser ? Le renouveler ? Il faut recommencer à zéro ?  Le constat est dur : le cœur de l’homme est mauvais. Il faut donc tout détruire ! C’est la voie du déluge. Mais, pourtant, il ne détruit pas tout, il y a un petit reste, il y a un juste (qui n’est pas parfait), Noé. Le Pape commente (LS 71) cette limite imposée à Dieu dans le déluge comme un nouveau commencement rendu possible par la présence d’un seul homme bon : c’est ce qui suffit à nourrir une espérance. Il en suffit d’un.

Un théosystème

Dans cette réflexion sur la terre qui est don et création, nous voyons combien le système n’est ni écosystème, ni anthroposystème mais théosystème. C’est la présence du Créateur par sa Parole qui donne sens et raison et articule avec harmonie et bonté la trilogie, terre, homme, Dieu. D’où la proposition du Pape de recevoir de nouveau un Père créateur pour rétablir juste fraternité et écologie réciproque et raisonnée. Redécouvir la création comme don avec limites et ses lois où l’homme est axial et fondamental car source de la raison et de sens.

Nous pouvons retenir quels points d’attention pour penser cette écologie intégrale qui maintient la cohérence d’ensemble car tout est lié : s’inscrire dans une histoire longue et non pas penser dans l’immédiateté ou dans l’urgence (le récit biblique nous y invite), ne pas se comparer en se caricaturant et se méprisant (la logique des partis est fratricide), accueillir la réalité pour ce qu’elle est ni plus ni moins mais surtout user de la raison, don de Dieu, pour cultiver et garder cette terre.

P. Yann Le Lay


Psaume 33,6

Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle de sa bouche.

Genèse 1, 26-31

26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »

27 Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme.

28 Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »

29 Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture.

30 À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi.

31 Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.

Genèse 2, 7-9

07 Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant.

08 Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé.

09 Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Genèse 2, 15-17

15 Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde.

16 Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ;

17 mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras. »

Alors que “cultiver” signifie labourer, défricher ou travailler, “garder” signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Laudato si’ 67

Genèse 3, 17-19

17 Il dit enfin à l’homme : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé le fruit de l’arbre que je t’avais interdit de manger : maudit soit le sol à cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie.

18 De lui-même, il te donnera épines et chardons, mais tu auras ta nourriture en cultivant les champs.

19 C’est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu proviens ; car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras.  »

Genèse 4, 9-12

09 Le Seigneur dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » Caïn répondit : « Je ne sais pas. Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? »

10 Le Seigneur reprit : « Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi !

11 Maintenant donc, sois maudit et chassé loin de cette terre qui a ouvert la bouche pour boire le sang de ton frère, versé par ta main.

12 Tu auras beau cultiver la terre, elle ne produira plus rien pour toi. Tu seras un errant, un vagabond sur la terre. »

Dans ces récits si anciens, emprunts de profond symbolisme, une conviction actuelle était déjà présente : tout est lié, et la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres. Laudato si’ 70

Genèse 6, 5-8

05 Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre, et que toutes les pensées de son cœur se portaient uniquement vers le mal à longueur de journée.

06 Le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre ; il s’irrita en son cœur et il dit :

07 « Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés – et non seulement les hommes mais aussi les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel – car je me repens de les avoir faits. »

08 Mais Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur.

Ainsi, il a donné à l’humanité la possibilité d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être humain bon pour qu’il y ait de l’espérance ! La tradition biblique établit clairement que cette réhabilitation implique la redécouverte et le respect des rythmes inscrits dans la nature par la main du Créateur. Laudato si’ 71

La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts. Laudato si’ 75